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� TROIS MONDES, UNE PLAN�TE
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� Alfred Sauvy
L'Observateur, 14 ao�t 1952, n�118, page 14.
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nous parlons volontiers des deux mondes en pr�sence, de leur guerre possible, de leur coexistence, etc., oubliant trop souvent qu�il en existe un troisi�me, le plus important, et en somme, le premier dans la chronologie. C�est l�ensemble de ceux que l�on appelle, en style Nations Unies, les pays sous-d�velopp�s.

Nous pouvons voir les choses autrement, en nous pla�ant du point de vue du gros de la troupe : pour lui, deux avant-gardes se sont d�tach�es de quelques si�cles en avant, l'occidentale et l'orientale. Faut-il suivre l'une d'elles ou essayer une autre voie ?

Sans ce troisi�me ou ce premier monde, la coexistence des deux autres ne poserait pas de grand probl�me. Berlin ? Allemagne ? Il y a longtemps qu'aurait �t� mis en vigueur le syst�me d'occupation invisible, qui laisserait les Allemands libres et que seuls les militaires �pris de vie civile, peuvent condamner. Les Sovi�tiques ne redoutent rien tant que voir l�Europe occidentale tourner au communisme. Le plus fervent stalinien d�ici est consid�r� l�-bas comme contamin� par l�Occident. Parlez plut�t d�un bon Chinois, d�un Indien ayant fait ses classes � Moscou et ne connaissant la bourgeoisie que par la vision correcte et pure qui est donn�e l�-bas. Mais les Anglais, les Su�dois, les Fran�ais, autant d�ind�sirables recrues.

Ce qui importe � chacun des deux mondes, c�est de conqu�rir le troisi�me ou du moins de l�avoir de son c�t�. Et de l� viennent tous les troubles de la coexistence.

Le capitalisme d�Occident et le communisme oriental prennent appui l�un sur l�autre. Si l�un d�eux disparaissait, l�autre subirait une crise sans pr�c�dent. La coexistence des deux devraient �tre une marche vers quelque r�gime commun aussi lointain que discret. Il suffirait � chacun de nier constamment ce rapprochement futur et de laisser aller le temps et la technique. D�autres probl�mes surgiraient qui occuperaient suffisamment de place. Lesquels ? Gardons-nous de poser la question.

Transportez-vous un peu dans l�histoire : au c�ur des guerres de religion, �mettez n�gligemment l�opinion que, peut-�tre un jour, catholiques et protestants auront d�autres soucis que l�Immacul�e Conception. Vous serez curieusement consid�r� et sans doute br�l� � un titre ou l�autre, peut-�tre comme fou.

Malheureusement, la lutte pour la possession du troisi�me monde ne permet pas aux deux autres de cheminer en chantant, chacun dans sa vall�e, la meilleure bien entendu, la seule, la �vraie�. Car la guerre froide a de curieuses cons�quences : l�-bas, c�est une cour morbide de l�espionnage, qui pousse � l�isolement le plus farouche. Chez nous, c�est l�arr�t de l��volution sociale. A quoi bon se g�ner et se priver, du moment que la peur du communisme retient sur la pente ceux qui voudraient aller de l�avant ? Pourquoi consid�rer quoi que ce soit, puisque la majorit� progressiste est coup�e en deux ? Jamais p�riode ne fut plus favorable � la l�gislation de classe, nous le voyons bien. Absolvons-nous donc de nos vols, par l�amnistie fiscale, amputons sans crainte les investissements vitaux, les constructions d��coles et de logements pour doter largement le fonds routier, de fa�on que se fassent plus ais�ment les retours du dimanche soir dans les beaux quartiers. Renfor�ons les privil�ges betteraviers et alcooliers les moins d�fendables. Pourquoi se tourmenter, puisqu�il n�y a pas d�opposition ?

Ainsi l��volution vers le r�gime lointain et inconnu a �t� stopp�e dans les deux camps, et cet arr�t n�a pas pour seule cause les d�penses de guerre. Il s�agit de prendre appui sur l�adversaire pour se fixer solidement. Ce sont les durs qui l�emportent dans chaque camp, du moins pour le moment. Il leur suffit de qualifier les autres de tra�tres ; bataille facile et classique. Et ainsi ils s�unissent pour une cause en somme commune : la guerre.

Et cependant, il y a un �l�ment qui ne s�arr�te pas, c�est le temps. Son action lente permet de pr�voir que l�ampleur des ruptures sera, comme toujours, en rapport avec l�artifice des stagnations. Comment s�exerce cette lente action ? De plusieurs fa�ons, mais d�une en particulier, plus implacable que toutes :

Les pays sous-d�velopp�s, le 3� monde, sont entr�s dans une phase nouvelle : certaines techniques m�dicales s�introduisent assez vite pour une raison majeure : elles co�tent peu. Toute une r�gion de l�Alg�rie a �t� trait�e au D.D.T. contre la malaria : co�t 68 francs par personne. Ailleurs � Ceylan, dans l�Inde etc., des r�sultats analogues sont enregistr�s. Pour quelques cents la vie d�un homme est prolong�e de plusieurs ann�es. De ce fait, ces pays ont notre mortalit� de 1914 et notre natalit� du XVIII� si�cle. Certes, une am�lioration �conomique en r�sulte : moins de mortalit� de jeunes, meilleure productivit� des adultes, etc. N�anmoins, on con�oit bien que cet accroissement d�mographique devrait �tre accompagn� d�importants investissements pour adapter le contenant au contenu. Or ces investissements vitaux co�tent, eux, beaucoup plus de 68 francs par personne. Ils se heurtent alors au mur financier de la guerre froide. Le r�sultat est �loquent : le cycle mill�naire de la vie et de la mort est ouvert, mais c�est un cycle de mis�re. N�entendez-vous pas sur la C�te d�Azur, les cris qui nous parviennent de l�autre bout de la M�diterran�e, d�Egypte ou de Tunisie ? Pensez-vous qu�il ne s�agit que de r�volutions de palais ou de grondements de quelques ambitieux, en qu�te de place ? Non, non, la pression augmente constamment dans la chaudi�re humaine.

� ces souffrances d'aujourd'hui, � ces catastrophes de demain, il existe un rem�de souverain ; vous le connaissez, il s'�coule lentement ici dans les obligations du pacte atlantique, l�-bas dans des constructions f�briles d'armes qui seront d�mod�es dans trois ans.

Il y a dans cette aventure une fatalit� math�matique qu'un immense cerveau pourrait se piquer de concevoir. La pr�paration de la guerre �tant le souci n�1, les soucis secondaires comme la faim du monde ne doivent retenir l'attention que dans la limite juste suffisante pour �viter l'explosion ou plus exactement pour �viter un trouble susceptible de compromettre l'objectif n�1. Mais quand on songe aux �normes erreurs qu'ont tant de fois commises, en mati�re de patience humaine, les conservateurs de tout temps, on peut ne nourrir qu'une m�diocre confiance dans l'aptitude des am�ricains � jouer avec le feu populaire. N�ophytes de la domination, mystiques de la libre entreprise au point de la concevoir comme une fin, ils n'ont pas nettement per�u encore que le pays sous-d�velopp� de type f�odal pouvait passer beaucoup plus facilement au r�gime communiste qu'au capitalisme d�mocratique. Que l'on se console, si l'on veut, en y voyant la preuve d'une avance plus grande du capitalisme, mais le fait n'est pas niable. Et peut-�tre, � sa vive lueur, le monde n�1, pourrait-il, m�me en dehors de toute solidarit� humaine, ne pas rester insensible � une pouss�e lente et irr�sistible, humble et f�roce, vers la vie. Car enfin ce Tiers Monde ignor�, exploit�, m�pris� comme le Tiers Etat, veut, lui aussi, �tre quelque chose.

Note sur l�origine de l'expression �Tiers Monde� par Alfred Sauvy :

En 1951, j'ai, dans une revue br�silienne, parl� de trois mondes, sans employer toutefois l'expression �Tiers Monde�.
Cette expression, je l'ai cr��e et employ�e pour la premi�re fois par �crit dans l'hebdomadaire fran�ais �l'Observateur� du 14 ao�t 1952. L'article se terminait ainsi : �car enfin, ce Tiers Monde ignor�, exploit�, m�pris� comme le Tiers Etat, veut lui aussi, �tre quelque chose�. Je transposais ainsi la fameuse phrase de Sieyes sur le Tiers Etat pendant la R�volution fran�aise. Je n'ai pas ajout� (mais j'ai parfois dit, en boutade) que l'on pourrait assimiler le monde capitaliste � la noblesse et le monde communiste au clerg�.
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