LE NOM DES ÎLES ANGLO-NORMANDES

Dans le dernier numéro de la Nouvelle Revue d'Onomastique, François de Beaurepaire1, après avoir signalé que les dernières études concernant la toponymie des Iles anglo-normandes étaient dues à des Anglais2, affirmait, à juste titre, qu'il appartenait « aux Français de se pencher à nouveau sur ce sujet en y apportant les éléments de référence que leur procure la toponymie française, tout particulièrement celle de la Normandie continentale ». C'est pourquoi il nous a semblé utile de faire part ici de nos réflexions et de nos hypothèses sur un sujet qui se trouve compliqué, mais peut-être aussi éclairé, par le fait que la plupart des îles ont porté deux noms : celui que nous employons aujourd'hui et celui qui apparaît dans des textes latins antérieurs au Xe siècle. Malgré la chronologie, nous aborderons d'abord les appellations "modernes" avant de nous hasarder sur les chemins que nous ont tracés Y Itinéraire d'Antonin , au IVe siècle, et les Vies de saints du haut Moyen Âge.

Le nom actuel des îles anglo-normandes

On ne peut pas s'empêcher, devant la toponymie de ces îles, de faire un rapprochement avec celle du nord du Cotentin, et plus particulièrement avec celle des régions proches des côtes. Il est vrai qu'aucun point de la presqu'île ou des îles n'est éloigné de la mer. Or il a été constaté que les côtes du nord de la Manche sont, de toutes les côtes normandes, celles qui présentent le plus de traces scandinaves. On s'attendra donc à trouver ce même caractère dans l'archipel anglo-normand. Et il y est bien présent ; mais d'une façon différente. Dans les îles en effet, on ne trouve pour ainsi dire pas les types de mots qui sont les plus marquants de la toponymie normande d'origine scandinave : les noms de lieux en -tot (du se. topt "village"), ou en -beuf (du se. budh "maison"), ou en -bec (du se. bekk "cours d'eau") ; ni les toponymes de propriété s'appuyant sur un anthroponyme scandinave, les Trouville, les Gonneville, les Omonville ou les Quett(r)eville ; ni les appellations se référant au nom scandinave des arbres : le chêne (se. eik, dans Yquelori), le frêne (se. e ski, dans Ectot) ou le tilleul (se. lind, dans LindebeuJ). Par contre, on trouvera en abondance des produits du scandinave holm "îlot" (plus de vingt), de grunn "écueil" comme nom commun (une 'greune' ou 'grune') et comme nom propre (Les Grünes), de stak "tas (de cailloux)" sous des formes simples (L'Etac ) ou dérivées (L'Etac -querel, L'Etachori). On constatera alors que le vocabulaire scandinave des îles est un vocabulaire de navigateurs plus que de résidents. On en verra encore une preuve dans la productivité d'un mot qui, en lui-même, n'a rien de marin, mais qui en fait a été utilisé pour désigner un amer, un point de repère pour la navigation. Il s'agit du scandinave haug "hauteur", dont les produits Hogue, Hoguette, et surtout Hougue, Houguet, Houguette, sont bien connus en Normandie. On en compte, par exemple, une dizaine dans le nord du Cotentin. Mais à Jersey et à Guernesey, on en compte trois fois plus.

C'est donc en considération de cet état de choses que nous avons entrepris l'étude des principales appellations "extérieures" de l'archipel anglo-normand. Les toponymes étudiés se répartissent, du point de vue morphologique, en deux catégories d'importance tout à fait inégale : la plupart sont "marqués", c'est-à-dire que, lors de leur formation, un élément indiquait le caractère insulaire de l'objet désigné, tandis que quelques autres ne présentent aucun élément de cette nature.

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