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Dossiê História das Geografias Universitárias

« L’axe Bristol-Cambridge », ou la carrière d’un schème historiographique dans la production de la New Geography britannique

The “Bristol-Cambridge axis”, career of a historiographic trope in the production of the New Geography in Britain
El “eje Bristol-Cambridge”, o la trayectoria de un esquema historiográfico en la producción de la Nueva Geografía británica
O “Eixo Bristol-Cambridge”, ou a carreira de um esquema historiográfico na produção da Nova Geografia Britânica
Nicolas Szende

Resumos

O “eixo Bristol-Cambridge” é uma expressão introduzida pelo geógrafo Jeremy Whitehand num artigo publicado em 1970, que faz uma retrospetiva da emergência de uma ‘nova’ geografia quantitativa e modelar no Reino Unido durante a década de 1960. Para o seu autor, ela resultava de uma tentativa de objetivar a “difusão das inovações” no território nacional. Articulando, por um lado, evocações gráficas e conceptuais que respondem aos padrões epistémicos da New Geography e, por outro, legitimando a centralidade do pequeno mundo dos New Geographers no mapa académico britânico, “o eixo” é o que os geógrafos retêm do artigo de Whitehand. Ao traçar o contexto da sua produção e a subsequente mobilização deste esquema na historiografia interna da disciplina, este estudo de caso realça a natureza performativa da história da geografia contemporânea. O esquema de Whitehand, a sua circulação e usos, enquanto objeto de tomadas de posição, narrativas e contra-narrativas, serve também aqui como analisador do lugar da geografia quantitativa no sistema disciplinar das ciências sociais britânicas na segunda metade do século XX.

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Je remercie les relecteur-ices anonymes de l’article, Olivier Orain, Maryvonne Prévot, Marie-Claire Robic, Delphine Raccurt, Myriam Baron, Arthur Kramer, les intervenant-es des doctoriales du Réseau d'Études sur l'Enseignement Supérieur (RESUP), ainsi que les participant-es à la semaine d’écriture des doctorant-es de Géographie-cités de mai 2024, pour leurs conseils et leurs relectures.

  • 1 La diffusion de l’innovation au sein d’une discipline académique : le cas de la « New » Geography.
  • 2 Dans notre article, les citations extraites d’entretiens et d’articles en anglais seront traduites (...)

1En 1970, Jeremy Whitehand (1938 – 2021) publie, dans la revue Area (publication officielle de l’Institute of British Geographers, à l’époque le pendant académique principal des sociétés de géographes au Royaume-Uni) un article intitulé « Innovation Diffusion in an Academic Discipline: the case of the ‘New’ Geography ».1 Whitehand, à l’époque Lecturer en géographie urbaine et économique à l’Université de Glasgow, teste dans cet article l’hypothèse selon laquelle « l’adoption croissante des méthodes quantitatives »2 (Whitehand 1970, 19) au sein de la discipline au Royaume-Uni peut être résumée par une dynamique de diffusion spatiale. Processus qui aurait pour source deux « candidats » potentiels au « titre de centre d’innovation » (Ibid., p. 21): les facultés de géographie des universités de Bristol et de Cambridge. Face à son incapacité, « par manque d’informations » (Ibid., 20), à trancher lequel de ces deux lieux est le plus significatif statistiquement pour expliquer la diffusion des méthodes quantitatives sur le territoire national, l’auteur met dans cet article au banc d’essai la conjecture d’un « axe » Bristol-Cambridge moteur de cette dynamique. Deux pôles qu’il regroupe pour évaluer au Royaume-Uni le caractère spatial de la circulation des enseignant-es-chercheur-es, de l’évolution des programmes d’enseignement (Figure 1, et Annexe 1), et des changements de canon méthodologique des revues de géographie depuis le début des années 1960. Et ce à l’aune de la progression vers une géographie que l’auteur dépeint comme « nouvelle », plus nomothétique, modélisatrice, et plus focalisée sur l’usage de méthodes quantitatives qu’avant.

  • 3 Les contributeurs aux développements récents et à l'influence de la géographie humaine : ce que l'a (...)

2L’article de Whitehand est le premier d’une série de parutions dans la carrière de l’auteur qui tente d’interroger à l’aide de banques de données statistiques les dynamiques contemporaines de la discipline (Whitehand 1971; 1984; 1985; 1990). Son article de 1985 « Contributors to the recent development and influence of human geography: what citation analysis suggests »,3 précurseur de l’application des systematic reviews et des études scientométriques à la géographie britannique, est même réédité en 2002 en tant que ‘classique’ de la discipline dans la revue Progress in Human Geography. D’autre part, cette étude et en particulier le « Bristol-Cambridge axis » donnent lieu à une série de débats auxquels prennent part des praticiens de la géographie quantitative ainsi que des historiens de la discipline. Il est important de noter que les deux catégories se superposent largement, ici. En effet, les historiens et épistémologues de la Quantitative Geography les plus influents dans la littérature anglophone (citons Ron Johnston ou Trevor J. Barnes) ont débuté au cœur de ce monde et, nous le verrons, s’inscrivent aussi dans la réception de Whitehand et en proposent des relectures. Les contextes de production et de circulation de cet article l’intègrent de fait dans l’historiographie interne de la géographie, c’est-à-dire un corpus de tentatives d’objectivation des changements traversés par la discipline produit par des acteurs ou témoins de ces mêmes changements.

3« L’axe Bristol-Cambridge » interroge: ce n’est ni directement une graphie, ni exclusivement un concept, mais plutôt un schème – tournure qui confère à l’idée que ‘les innovations se diffusent au sein de la discipline’ une image emblématique. D’autant plus que ce n’est pas l’étude de Whitehead dans son entièreté mais « l’axe » seulement qui – de manière synecdocale (Dufoix 2022) – fait date ou, dirons-nous ici, fait carrière (Darmon 2008), dans la mise en histoire de la géographie quantitative par les géographes britanniques. Au rythme des remises en cause et des réhabilitations de la New Geography dans un contexte disciplinaire national qui, nous le verrons, est en même temps ouvert à des échanges internationaux et souffre de crises de légitimité, « l’axe » parle aux géographes britanniques. Car il s’agit avant tout d’une géographie de la science qui met en valeur le Royaume-Uni. La production scientifique des géographes n’est pas pour autant réductible à la résultante des contraintes institutionnelles et stratégies professionnelles qui les orientent. Nous pourrons néanmoins interroger, à travers la genèse, la circulation et les interventions au sujet de « l’axe Bristol-Cambridge », la manière dont ces personnages ont réfracté (Bourdieu 2019 [1997]) ces externalités dans le cadre et la sémantique de la géographie.

4Dans le contexte plus large d’un travail de doctorat, nous étudions les parcours de géographes et des textes de la New Geography (Johnston et Williams 2003; Bailly et al. 2018) à partir des années 1960 au Royaume-Uni, notamment à travers une série d’entretiens biographiques réalisés entre 2023 et 2024. Sur la soixantaine d’entretiens qui ont été menés à l’heure où cet article est écrit, nous nous sommes concentrés sur les personnages soit qui ont été impliqués ou ont eu des liens de sociabilité directs avec les facultés de géographie de Bristol ou Cambridge, soit nous ont mentionné « l’axe Bristol-Cambridge » dans nos échanges. Ces données sont complétées par la consultation d’archives institutionnelles portant sur les approches quantitatives, les infrastructures computationnelles en géographie et les personnages affiliables à ces domaines à l’échelle de départements de géographie (ceux de l’University College London, Leeds, Oxford, et Bristol) et à l’échelle nationale (National Archives). La lecture d’articles, de monographies, de Textbooks et autres documents textuels internes au champ où une parole s’exprime sur ces moments - ou plus généralement sur l’histoire de la discipline -, complète ces données.

5Après une discussion portant sur le contexte socio-historique dans lequel Whitehand formule ce schème et sur les possibilités qu’offrent l’historiographie interne de la géographie comme matériau de recherche, nous nous demanderons en première analyse dans quelle mesure « l’axe Bristol-Cambridge » est analyseur du système disciplinaire de la géographie et des sciences sociales britanniques des années 1960. Comment, au cours des années 1960, le statut à part de l’Université de Cambridge dans la formation des élites académiques et les sociabilités professionnelles que les membres de son département de géographie y tissent avec celui de Bristol expliquent-elles le « constat » de Whitehand? Que dit ce constat et sa circulation en tant que schème des modalités de production, prospective comme rétrospective, de la New Geography au Royaume-Uni?

  • 4 Qui s’appuie sur les représentations, la langue et les cadres épistémiques du groupe étudié.

6Nous poserons par la suite la question de « l’axe » à travers ses mobilisations, critiques ou non, dans la littérature académique, des années 1970 aux années 2000. En quoi révèle-t-elle le caractère émique4 (Olivier de Sardan 1998), contesté, et souvent performatif de la mise en histoire du tournant quantitatif de la discipline en Grande-Bretagne? Il s’agira pour nous de scruter, confronter et questionner les prises de position de géographes à l’égard du schème de Whitehand comme autant d’illustrations des liens, dans la seconde moitié du xxe siècle, entre les géographes « quantitativistes », au regard de leurs attaches disciplinaires et institutionnelles, et de leurs objets de recherche.

Fig. 1 – Pourcentage de questions de partiels en ‘New Geography’ (par département de géographie britannique), en fonction de la distance en kilomètres avec « l’axe Cambridge-Bristol », en 1969

Fig. 1 – Pourcentage de questions de partiels en ‘New Geography’ (par département de géographie britannique), en fonction de la distance en kilomètres avec « l’axe Cambridge-Bristol », en 1969

Whitehand 1970, p. 23

Donner une place aux historiographies internes de la géographie quantitative

  • 5 L’investissement dans les «quangos» est d’ailleurs sujet à débat dès le début des années 1970 au Ro (...)
  • 6 National Archives, EW 8/408. Sur proposition en 1965 de Richard Crossman, Ministre du Logement, le (...)
  • 7 National Archives, OS 1/1275. Unité co-supervisée par le Natural Environment Research Council (fraî (...)

7L’article de Whitehand paraît au terme d’une décennie de développements majeurs dans l’enseignement supérieur et la recherche britanniques. Depuis l’après-Guerre, une forme d’« applied science » (Bud 2024) qui était encouragée jusqu’alors par les politiques publiques scientifiques gouvernementales laisse progressivement place, dans les années 1960, à des esquisses de politique de la demande dans le secteur. Elles sont notamment incarnées par la création, en 1964 et par le premier gouvernement travailliste de Harold Wilson, d’un ministère de la technologie (Ibid.). La politique volontariste de ce même gouvernement, notamment en matière de logement et de planification urbaine, a également un effet sur les formes institutionnelles que prennent la recherche, notamment en sciences sociales. C’est en effet à la même époque qu’émergent, grâce à des investissement publics et privés, des organismes semi-indépendants (des « quangos » - Quasi non-governmental organisations)5 ou des équipes de recherches dont la mission est de gérer rapidement des problèmes d’aménagement ou de données géospatiales, comme le Centre for Environmental Studies,6 fondé en 1967, ou l’Experimental Cartography Unit, fondée en 1968.7

8Mais l’événement majeur de la décennie du point de vue des enseignant-es-chercheur-es est la partition, en 1965, du système de financement public de la recherche en quatre Research Councils: le Natural Environment Research Council (NERC), le Social Science Research Council (SSRC), le Science Research Counil (SRC) et l’Arts Research Council (ARC). Cet éclatement institutionnel est source de malaise chez les géographes. Si la géographie physique est intégrée dès sa création au fonctionnement du NERC, la géographie humaine met deux ans à obtenir la formation d’un comité de financement qui lui est dédiée au sein du SSRC. Le Research Council y impose par ailleurs un rapprochement entre géographes et urbanistes sur fond de manque d’implication des institutions majeures de la géographie dans ces négociations (Chisholm 2001; Johnston 2004). C’est dans ce cadre en pleine recomposition que la géographie britannique évolue dans les années 1960. Ce contexte institutionnel national, suggère l’historien des sciences Jon Agar dans un article intitulé « What happened in the sixties? » (2006), peut en partie expliquer la manière dont, au Royaume-Uni, les scientifiques incluent progressivement, à l’époque et dans leur production académique, des propos qui traitent explicitement « d’auto-détermination scientifique » (Ibid. p. 593), de découpages et d’autonomie disciplinaires.

  • 8 L’expression, qu’on peut traduire en français par « fuite des cerveaux », a été justement été intro (...)

9Les mises en histoire par les géographes de leur propre discipline, voire de leur propre domaine d’étude, sont conceptualisables comme autant de tentatives de négociation de leur autonomie dans le champ académique. Le syntagme de « Révolution quantitative » est une entrée importante pour problématiser l’objet et le périmètre d’étude de cet article. C’est un qualificatif largement accepté dans le champ (Kwan et Schwanen 2007; Wyly 2014). Il est introduit en 1963 par Ian Burton, géographe d’origine britannique mais, recrue du brain drain,8 il achève en 1962 son doctorat à l’Université de Chicago sous la supervision de Gilbert White – figure tutélaire de la géographie environnementale à tendance modélisatrice aux Etats-Unis. Dans un article (Burton 1963) ayant bénéficié des conseils et relectures de plusieurs de ses jeunes collègues britanniques partis comme lui aux Etats-Unis en début de carrière, l’introduction par Burton de l’idée d’une « révolution » marque par son caractère déjà rétrospectif. Selon lui, la révolution d’ordre théorique s’est déjà faite dans les années 1950 et aux Etats-Unis: les avancées techniques suivront.

ien que les origines de la révolution se trouvent dans les champs des mathématiques et de la physique, l'invasion directe est venue de plus près. (Burton 1963, 153)

  • 9 A l’opposé du concept d’autonomie dans le vocabulaire bourdieusien (Sapiro, 2019).

10Le lien avec les Social Physics, de l’analyse statistique des processus géomorphologiques, et de la Regional Science émergente aux Etats-Unis (Boyce 2003) avec la quantification de la méthode scientifique en géographie est avéré. Mais il est considéré par Burton comme « invasion » subie, processus caractéristique en géographie puisqu’il s’agit pour lui d’une « discipline de ‘suiveurs’ plutôt que de ‘guides’ » (Ibid., p. 152). Si l’idée d’invasion donne une idée des postures conceptuelles linguistiques qu’impliquent une « histoire émique » (Feuerhahn, 2020) de la géographie, le terme de révolution est par contre une transposition directe par l’auteur d’une remarque de l’économiste Douglass C. North (1961) à propos des évolutions contemporaines de l’histoire économique. Dans quelle mesure « L’axe Bristol-Cambridge » s’inscrit dans le prolongement de la posture épistémologique de Burton, mobilisant une administration de la preuve éminemment géographique tout en situant la géographie comme discipline hétéronome,9 dépendante de dynamiques globales d’innovation?

11Prolongeant un effort collectif en histoire sociale de la géographie ayant notamment donné lieu à la parution de l’ouvrage Recalibrating the Quantitative Revolution in Geography (2022, dir. Gyuris et al.), notre article s’inscrit dans la volonté – exprimée dans cet ouvrage – de « provincialiser » (Ibid., p. 215) l’histoire contemporaine de la discipline. L’exercice peut paraître contradictoire puisqu’il s’agit ici s’appliquer cette démarche au monde britannique, nodal dans l’émergence et la professionnalisation de la géographie scientifique (Péaud 2016). Cette histoire est, néanmoins, souvent thématisée comme « anglophone » (Hancock et al., 2021) ou « anglo-américaine » (Johnston et Sidaway 2015) lorsque le curseur chronologique est déplacé vers le xxe siècle des géographies étatsuniennes, canadiennes et britanniques. Le rôle des institutions de la recherche et de la place qu’y tient la géographie mérite pourtant d’être questionné à l’échelle nationale dans cette partie du paysage académique mondial. Dans la manière dont est théorisée la quantification de la géographie dès l’après-guerre, une attention particulière est, par exemple, portée sur les Space Cadets de l’Université de Washington (Berry 1993; Hanson 1993; Barnes 2004). Ce groupe est perçu par les géographes comme crucial dans l’histoire de la « Révolution quantitative » car il mobilise en effet dans les années 1950 les capacités des premières perforatrices-calculatrices électroniques dans l’étude des systèmes spatiaux. Mais il est surprenant de remarquer, dans la littérature qui porte sur ces moments vus comme fondateurs, la circulation toujours active de lieux communs historiographiques qui situent nécessairement le Royaume-Uni, et plus généralement le reste des « géographies anglophones », en aval des Space Cadets. C’est un biais qui a notamment pour conséquence d’effacer les spécificités des savoirs et personnages britanniques dans la production conceptuelle, éditoriale, institutionnelle de la « Révolution quantitative ».

12Afin de traiter de la question de ces lieux communs tout en les mobilisant comme matériaux de recherche, nous avons fait appel à un ensemble d’outils méthodologiques provenant notamment de la sociologie interactionniste. C’est une école sociologique dont se réclament des travaux qui traitent, d’une part, des usages performatifs de l’histoire dans la formation d’écoles et les parcours de légitimation d’institutions scientifiques. Department and discipline, monographie d’Andrew Abbott (1999) portant sur le département de sociologie de l’Université de Chicago, est un ouvrage qui met en avant la manière sont ses membres ont participé à la formation de « l’école de Chicago ». Mais Abbott montre que ladite « école », s’il faut la définir, c’est plutôt en tant que label historiographique produit de manière rétrospective, après-guerre. Et ce à la faveur de crises de légitimité de l’unité d’enseignement vis-à-vis de l’administration universitaire de l’Université de Chicago, puis de la publication au cours des années 1960 des premières études à teneur historique sur le département. Ce sont des tendances identifiées en géographie, et en particulier à la période que nous étudions, par Marie-Claire Robic dans un article intitulé Traditions, courants et ruptures : pour une histoire de la géographie en tension (Robic, 1999):

Le schème des ruptures s’opposerait-il au pluralisme consensuel? A côté de cet œcuménisme, les géographes anglo-saxons ont développé depuis les années soixante une autre tactique historiographique, construite sur l’idée d’une révolution permanente. (Robic 1999, 165)

13Reste à identifier les mécaniques et les modes opératoires de cette « tactique historiographique » (Ibid.). Une approche interactionniste des mondes scientifiques peut également nous éclairer ici, et donner des clefs explicatives quant à la manière dont des labels, mais également des savoirs plus complexes à définir – tels qu’ici les schèmes – trouvent leur place dans le champ académique. La trajectoire du schème que nous étudions répond au concept de carrière, utilisé couramment en sociologie des professions mais dont la versatilité comme « instrument interactionniste d’objectivation » est défendue par des sociologues comme Muriel Darmon (2009). En effet, si le terme est habituellement utilisé pour rendre compte des dynamiques de socialisation d’individus, que cela soit à un monde ou un ensemble de pratiques, il nous paraît ici pertinent de l’appliquer au contexte de production et de circulation de « l’axe Bristol-Cambridge ». Ainsi, écrire la carrière de « l’axe », c’est en rappeler sa genèse mais aussi la manière dont ce schème est, dans ses usages, intégré, socialisé, à un certain corpus d’écritures de la discipline qui relève de la « tactique historiographique » (Robic 1999).

De Cambridge à Bristol: le cœur d’une diffusion ou un tout petit monde?

  • 10 Cette formule est un clin d’œil à Un tout petit monde, titre français du roman universitaire Small (...)
  • 11 Une fois ce groupe identifié, il est difficile de ne pas vouloir établir d’homologies avec le monde (...)

14Comment situer et mesurer la portée de « l’axe Bristol-Cambridge » dans le champ disciplinaire de la géographie? Pourquoi se focaliser sur une « opération » (Orain 2018) spatialisante et partiellement diagrammatique d’objectivation de l’état du champ, plutôt que sur le point de départ conceptuel que constitue la New Geography, sur lequel Whitehand s’appuie (sans se justifier) dès le titre de son article? Nous mettrons en évidence, dans cette section, que cet « axe » fait en réalité référence à un ensemble très restreint de personnalités et de carrières, un tout petit monde10 de jeunes géographes actifs à partir des années 1950 et 1960.11 Il s’agit d’un collectif gravitant autour de deux géographes, Peter Haggett et Richard Chorley, dont la rencontre et l’activité redéfinissent en quelques années le lien entre les institutions académiques (et pédagogiques) de la géographie, et l’usage des modèles, simulations et statistiques au sein de la discipline sur le territoire britannique.

15Retournons dans l’argumentaire développé par Whitehand dans « Innovation Diffusion in an Academic Discipline » (1970). Dans ce qui constitue l’une des premières tentatives d’objectivation de la production disciplinaire dans le déroulé du raisonnement, le travail de l’auteur consiste à faire le relevé d’articles relevant de la New Geography au sein de la revue Transactions of the Institute of British Geographers. Un périodique qui selon l’auteur « contient sans doute une bonne part de ce qui est destiné au marché professionnel » (p. 19) de la géographie. L’auteur remarque, jusqu’en 1967, le « monopole » quasi-complet d’auteurs issus de Bristol et Cambridge sur les publications de cette revue consacrées aux « techniques quantitatives ». Difficile ici de passer outre les impensés méthodologiques de l’article: aucune mesure objective justifiant le choix de revue-étalon n’y est explicitée, et le critère unique de construction du corpus d’articles est l’usage « implicite » ou « explicite » de statistiques « autres que de simples méthodes descriptives » dans ces publications (p.29). Examinons alors de plus près les articles identifiés par Jeremy Whitehand issus des deux facultés : entre 1962 et 1968, il en identifie une dizaine dans un ensemble total d’une vingtaine. C’est une liste que nous avons pu reconstruire.

Tableau 1 – La ‘New’ Geography à Bristol et Cambridge, selon Jeremy Whitehand (1970)

Année de publication

Titre de l’article

Auteur

Thèmes principaux

1963

Locational Change in the Kentish Hop Industry and the Analysis of Land Use Patterns

D.W. Harvey

(Bristol)

Modélisation spatiale et économique de changements productifs agricoles, à l’échelle d’une région britannique

1964

Problems in the Classification and Use of Farming-Type Regions

M. Chisholm

(Bristol)

Construction de l’information géographique / validité de l’utilisation de classes statistiques en cartographie

1965

Trend-Surface Mapping in Geographical Research

R.J. Chorley et P. Haggett

(Cambridge)

Modèles et méthodes d’interpolation de données géospatiales

1966

Geographical Processes and the Analysis of Point Patterns: Testing Models of Diffusion by Quadrat Sampling

D.W. Harvey

(Bristol)

Estimation des processus de diffusion géographiques à partir d’échantillons de données

1967

Growth and Structure of Geography

D.R. Stoddart

(Cambridge)

Modélisation du « dynamisme » et de la productivité de la géographie à l’international

1967

General Systems Theory and Geography

M. Chisholm

(Bristol)

Epistémologie de l’idée de « système » et de perspectives holistes, en géomorphologie et plus généralement en géographie

1968

The Neighbourhood Effect in the Diffusion of Innovations

A.D. Cliff

(Bristol)

Modélisation mathématique des effets de voisinage, dans les diffusions spatiales

1968

Some Methodological Problems in the Use of the Neyman Type A and the Negative Binomial Probability Distributions for the Analysis of Spatial Point Patterns

D.W. Harvey

(Bristol)

Illustration des difficultés de mobilisation des modèles à processus stochastiques en géographie

1968

Pattern, Process, and the Scale Problem in Geographical Research

D.W. Harvey

(Bristol)

Formalisation des liens mathématiques entre les processus à dimension spatiale et leur échelle

Whitehand (1970)

  • 12 En 1970, Cambridge n’accepte en moyenne que 40 % d’élèves provenant d’écoles publiques (House of Co (...)

16Une rapide prosopographie de six auteurs présents sur cette liste nous permet de comprendre à quel point le réseau social et scientifique qu’ils forment est restreint et cohésif. Peter Haggett (1933 –) et Michael Chisholm (1931 – 2024) sont camarades de licence et se forment tous deux à la géographie au St Catharine’s College de l’Université de Cambridge. La structure en colleges de Cambridge, similaire à celle d’Oxford (on parle encore aujourd’hui d’« Oxbridge » pour signaler le caractère singulier et élitiste des deux institutions) a des conséquences directes sur la formation académique de ses étudiant-es.12 L’absence complète de femmes dans ce petit groupe reflète, d’une part, l’exacerbation à l’époque des inégalités de genre dans les universités les plus élitistes du pays. En 1970, 30 % des élèves de licence sont à l’échelle du pays des femmes, alors qu’elles ne sont que 13 % à Cambridge (Jones et Castle, 1986). Les Colleges, petites structures de quelques centaines d’étudiant-es, jouent à Oxbridge le rôle d’entités complémentaires aux facultés, où l’enseignement – souvent aussi lourd qu’un cursus classique de licence -, repose sur des Supervisions, tutorat en très petits groupes (Tapper et Palfreyman, 2010). Au St Catharine’s College, Augustus Caesar y est le tuteur de géographie, de 1948 à 1980. Impliqué dans la reconstruction après-Guerre et adepte d’une géographie économique à tendance régionale, Caesar inspire à Haggett ses premiers travaux qui portent sur la couverture forestière du Sud-Est du Brésil et à Chisholm des contributions en économie agricole.

  • 13 Laboratoire ayant produit, à l’écriture de cet article, 30 prix Nobel. Il était à l’époque en plein (...)
  • 14 Aujourd’hui, Progress in Human Geography, une des émanations de Progress in Geography, est la revue (...)

17D’autre part, une des forces du département de géographie de Cambridge dans les années 1960 était la géomorphologie, développée sous l’influence des travaux de Vaughan Lewis, qui prônait une approche physiciste de la géographie physique (King, 1980), et collaborait avec les physiciens du Cavendish Laboratory13 pour étudier la structure des cristaux de glace. C’est de cette tendance que se revendiquent David Stoddart (1937 – 2014) et Richard Chorley (1927 – 2002). Leur autre point commun est qu’ils sont recrutés à Cambridge après un début de carrière étatsunien, indique Haggett dans un article rétrospectif sur la période, nommé « The Local Shape of Revolution, Reflections on Quantitative Geography at Cambridge in the 1950s and 1960s » (Haggett, 2008). Cette parution rappelle en détail comment le milieu que constituait la School of Geography de Cambridge, et en particulier sa rencontre avec Richard Chorley en 1958 au moment où ce dernier y est recruté comme Lecturer, constituent pour lui un tournant dans sa carrière. Chorley et Haggett débutent à Cambridge une production scientifique et éditoriale profuse. David Stoddart les rejoint dans cette production dès 1965. Il œuvre avec eux à la création de Progress in Geography, anthologies d’articles qui quelques années plus tard prennent la forme d’une puis de deux revues.14

  • 15 Mentor de Richard Chorley à l’Université Columbia en géomorphologie statistique.
  • 16 « To flood », dans le texte

[Chorley et moi] sommes devenus de bons amis. Au cours [l’été 1958], nous avons réfléchi ensemble à la manière d'introduire certaines des idées de Strahler15 dans les cours de Cambridge. À cette époque, l'impact de Bill Garrison et de son groupe de Washington commençait également à inonder16 l'Angleterre, grâce à des contacts personnels, à la transplantation d'étudiants diplômés, à des revues non officielles. (Haggett 2008, 340)

  • 17 Les motivations mobilisées par les enquêtés de l’ouvrage pour traverser l’Atlantique sont souvent p (...)

18Les jeunes recrues du monde académique nées dans les années 1930 et 1940 sont nombreuses à avoir suivi un début de carrière similaire à ceux de Chorley et Stoddart: un passage par les Graduate Schools étatsuniennes avant, pour une grande partie, de retourner exercer au Royaume-Uni (Balmer et al., 2009). La chronologie générale du Brain Drain anglo-américain correspond à ce moment : trois quarts des personnels scientifiques britanniques immigrés aux Etats-Unis sont de retour au Royaume-Uni à la fin des années 1960. L’ouvrage Geographical Voices (dir. Gould et Pitts, 2002), collection de récits autobiographiques de géographes influents durant la seconde moitié du xxe siècle, donne à lire plusieurs de ces parcours au sein de la discipline.17

  • 18 La majorité des informations qui suivent sont tirées de mélanges intitulés Bristol Geography, 1920- (...)

19David Harvey (1935 -) puis Andy Cliff (1943 -) sont, quant à eux, tous les deux doctorants sous la direction de Peter Haggett dans les années 1960. Avant d’achever en 1961 un doctorat en géographie économique et régionale, Harvey est Teaching Assistant pour le cours de méthodes quantitatives coordonné par R. Chorley et P. Haggett. Recruté à Bristol l’année où il soutient sa thèse, il est le second d’une série de recrutements au sein d’un département de géographie en pleine expansion, dirigé depuis 1957 par Ronald Peel.18 Également ancien du St Catharine’s College, géomorphologue incorporé à l’Ordnance Survey (l’IGN britannique) pendant la Seconde Guerre mondiale, Peel veut étendre l’influence du département de géographie de Bristol en y organisant la modernisation méthodique de l’enseignement et la recherche. Les cours d’approfondissement de la licence, qui étaient jusqu’alors majoritairement des modules de géographie régionale, sont remplacés par des cours de géographie thématiques: un cours de « théorie régionale » et un de « géographie politique » sont notamment rendus obligatoires pour les undergraduates. En 1965, la structure générale du diplôme de licence est refondue en suivant cette volonté réformatrice: trois parcours sont créés (un de géographie humaine, un de géographie physique, un parcours « combiné ») mais la formation méthodologique est commune aux trois filières et implique un enseignement en mathématiques et statistiques consolidé.

  • 19 University of Leeds Special Collections, LUA/ADM/010/42/1/3. Appointment of a new Chair in Geograph (...)

20Ronald Peel recrute en série, au cours de la décennie, des jeunes talents provenant de son ancien College pour accompagner ces changements : Chisholm est recruté comme Maître de Conférences (Lecturer) en géographie économique en 1965, Peter Haggett obtient la première chaire de géographie quantitative du pays à Bristol, en 1966. Andy Cliff, lui, suit une trajectoire inverse et est recruté à Cambridge après un doctorat bristolien. Cette génération est, de fait, très vite identifiée dans le champ comme relève professorale potentielle. En 1966, quand l’université de Leeds cherche à recruter un nouveau professeur en géographie générale (Butlin, 2015), un profilage de candidats potentiels est réalisé sur demande de la direction de la School of Geography. Michael Chisholm, Peter Haggett et Peter Hall (un autre géographe quantitativiste formé à St Catharine’s) sont remarqués, et sont unanimement considérés comme ayant des profils similaires, bien plus jeunes que la moyenne mais « exceptionnellement bons dans ce qu’ils font»19. Mais ce n’est pas parce qu’ils sont recrutés à Bristol que ces jeunes recrues coupent leurs liens avec Cambridge. Tony Hoare, géographe élève en licence à Cambridge en 1967 avant d’être lui aussi recruté à Bristol sur un poste de géographie quantitative quelques années plus tard, s’en souvient:

  • 20 Réalisé à Bristol, le 11 mars 2024.

Ils venaient tous de Cambridge, ils étaient tous dans le personnel de Bristol et ils sont revenus, pas d'un coup, mais ils sont revenus tout au long de l'année universitaire pour donner un cours sur ces nouvelles méthodes, cette nouvelle pensée, ces méthodes quantitatives, l'analyse spatiale, l'analyse de réseau, etc. dans le domaine de la géographie humaine. [Après son départ] Peter Haggett a donc été remplacé, en quelque sorte, par Peter Haggett lui-même, ainsi que par trois autres personnes : David Harvey, Michael Morgan et Michael Chisholm. [...] Ils venaient et donnaient cours tard le vendredi soir, à 17 heures, nous avions cours, et nous devions ensuite revenir le lendemain matin. Du jamais vu, des cours magistraux le samedi matin, bon sang, qui donne des cours magistraux le samedi matin ? Eh bien, c'est ce qui se passait, et nous devions le faire si nous voulions suivre ce cours. (Entretien avec Tony Hoare, 2024).20

21Au gré des collaborations de Chorley et Haggett, qui obtiennent tous deux des positions de pouvoir dans leurs facultés respectives et tirent de leurs capacités transformatrices le surnom de « Terrible Twins » (‘affreux jumeaux’) de la géographie quantitative (Barnes, 2001; Getis, 2012), l’ascension rapide de Cambridge et Bristol nourrit également la réputation des deux départements à l’international (Figure 2).

Fig.2. Andy Cliff, Peter Haggett et Arthur Getis au département de géographie de Bristol (1967)

Fig.2. Andy Cliff, Peter Haggett et Arthur Getis au département de géographie de Bristol (1967)

Andy Cliff (au premier plan à droite), à l’époque doctorant, montre à Peter Haggett (debout, au milieu de l’image) et à Arthur Getis, représentant des ‘Space Cadets’ en visite des Etats-Unis (debout, à droite de l’image) les capacités du premier ordinateur programmable du département de géographie de Bristol (1967)

University of Bristol, 1995

Le combat de la New Geography : cibler les « points de vulnérabilité critiques », unifier par les « modèles »

22Les observations évoquées lors de la section précédente peuvent sans doute expliquer la sur-représentation de Bristol et Cambridge dans l’échantillon limité d’articles que Whitehand prélève en 1970. Mais cela ne dit rien de la nature et de la position des deux institutions dans le paysage académique britannique. Ne sont-elles pas simplement, au milieu du xxe siècle, des lieux nodaux de la géographie au Royaume-Uni, ce qui les ouvriraient naturellement plus rapidement à la diffusion de perspectives novatrices? C’est un argument qui s’entend, de premier abord: les deux départements ne sont à l’époque pas récents (celui de Bristol est inauguré en 1920, celui de Cambridge en 1888). Au moment du Blitz (1940-41), lorsque les facultés de l’Université de Londres sont temporairement relocalisées, c’est par ailleurs à Bristol pour la géographie physique et à Cambridge pour la géographie économique que les géographes londoniens trouvent refuge (University of Bristol, 1995). Les deux universités font partie du cœur disciplinaire au Royaume-Uni et cela a sans aucun doute joué dans la construction de la légitimité des travaux des personnages que nous avons présentés. Dans cette section, nous montrerons que, bien que ce collectif soit bien placé dans la hiérarchie de la carte universitaire britannique, il impose dans la littérature académique l'idée qu'une « nouvelle » géographie est en train de se développer autour, dans un contexte de scepticisme voire d'inertie d'autres parties du cœur institutionnel de la discipline.

  • 21 « Location theory » en langue anglaise
  • 22 Réalisé à Londres, le 29 mars 2023.

[Et à Bristol ?] Et bien, c'étaient des géographes quantitativistes. Mais, voyez-vous, le plus important dans la modélisation, c'est que nous n'étions pas des géographes, nous étions des architectes, enfin plutôt des urbanistes. Et quelques géographes, un mélange. Alors que la géographie quantitative était très axée sur la théorie de la localisation,21 l'analyse spatiale. [...] Et puis bien sûr, ce qui s'est passé, c'est que la révolution quantitative des années 60 et 70 a fusionné ces éléments. (Entretien avec Michael Batty, 2023)22

23Michael Batty (1945 -) est urbaniste de formation mais structure sa carrière en mobilisant les apports de la science régionale étatsunienne, comme les New Geographers l’avaient fait dans les années 1960 et 1970. Les dix premières années de sa carrière se déroulent d’ailleurs dans la faculté de géographie de l’Université de Reading. Son témoignage met en évidence la distorsion que constitue l’axe Bristol-Cambridge comme photographie du champ académique britannique. Cette distorsion est le résultat d’une lutte concentrée autour des facultés de géographie les plus prestigieuses du pays. Ce récit de « l’axe » occulte le fait que les départements académiques n’agissent pas en vase clos et court-circuite au passage deux rapports de force constitutifs de la géographie britannique de l’époque.

24D’une part, les liens entre géographie et urbanisme comme disciplines, aussi proches soient-elles dans leurs objets de recherche, sont empreints à l’époque par les crises de légitimité que traversent les deux disciplines (Phelps et Tewdwr-Jones 2008; Davoudi et Pendlebury 2010) et, nous l’avons mentionné précédemment, un rapprochement forcé dans le financement de la recherche. D’autre part, une première vague de massification de l’enseignement supérieur a lieu dans les années 1960 (Mayhew et al 2004). Elle s’accompagne de recrutements supplémentaires et du développement de Polytechnics, collèges universitaires dédiés aux sciences appliquées (Carpentier et Picard 2023). La géographie quantitative y est enseignée (Lewis 1973; Unwin 1978). Cette diversité potentielle de lieux et de disciplines d’ancrage pour la géographie quantitative britannique est à prendre en compte si l’on veut comprendre les débats qui gravitent autour de ses origines.

  • 23 « [Les titulaires de chaires] étaient en poste, et on attendait d'eux qu'ils soient, en tant que ch (...)

25De plus, le développement et la réception des approches revendiquées par ce collectif au cœur de la géographie britannique s’est faite en dépit du conservatisme méthodologique des départements et institutions influents à l’échelle du pays. Plusieurs professeurs23 et autres titulaires plus âgés émettent de sérieuses réserves quant à l’activité de l’entourage de Chorley et Haggett. Avant d’être recruté comme Lecturer à Cambridge, Haggett passe d’ailleurs deux ans, de 1955 à 1957, à UCL (University College London) et dans un département dirigé par Henry Clifford Darby. Figure de l’Historical Geography, attaché à la défense d’une pratique de la « description géographique » face à ce qu’il qualifie de « Swinging sixties de la vie intellectuelle » (2002, p.204), Darby est un personnage qui incarne exactement l’inertie de cette vieille garde. Hugh Clout, membre du personnel de cette faculté depuis les années 1960, relate cet épisode:

  • 24 Réalisé à Londres, le 13 mars 2023.

[Peter Haggett] était un produit de Cambridge. Darby s'est donc automatiquement dit : un homme de Cambridge, excellent, nous devons l'avoir. Peter n'est resté [à UCL] que deux ans. Il était employé en tant qu'assistant, et la procédure normale dans les années 1950 était qu'un poste d'assistant durait trois ans [...]. Darby voulait s'assurer que les personnes qu'il embaucherait auraient, A, une connaissance de la géographie historique, et B, une connaissance pratique de la partie du monde qu'elles enseigneraient, pas seulement à partir de manuels, mais qu'elles iraient étudier dans cette partie du monde, et qu'elles parleraient couramment les langues appropriées, et ainsi de suite. Peter a donc été plutôt lent à cet égard. Et c'est justifiable parce qu'il faisait quelque chose de nouveau, mais il était lent. Darby n'était donc pas très enthousiaste à l'idée de le garder. (Entretien avec Hugh Clout 2023)24

26A Cambridge également et dans les conférences de l’Institute of British Geographers, des géographes s’inquiètent de l’influence que prend le « Chorley Circus » et les raisonnements « à la Haggett » (« Haggertry » dans le texte) (Simmons 2020; Cambridge Geography Department 2019). De manière plus surprenante, les critiques les plus acerbes des écrits des ‘jumeaux terribles’ sont à l’époque énoncées par Percy Crowe, géographe professeur de climatologie à Manchester et pionnier de l’utilisation des statistiques pour étudier la variabilité climatique (Johnston 2019). L’aspect majeur des réprobations de Crowe tourne autour de la mobilisation abusive de techniques émergentes de calcul de masse (régressions statistiques, lissages) qui s’apparenteraient plus pour lui à des ‘gadgets’ qu’à des outils servant une réflexion géographique (Ibid.). Jean Gottmann, titulaire de la chaire de géographie à l’Université d’Oxford de 1968 à 1983, pourtant partisan pendant et après-guerre des démarches systémiques et du travail avec les modèles physiques en géographie (Gottmann 1947; Pumain 2021), refuse d’aborder le sujet de l’installation d’ordinateurs dans la faculté pendant une dizaine d’années.

27Chorley et Haggett sont proches collaborateurs dès la fin des années 1950 et ont conscience de ces entraves. C’est peut-être pourquoi leur cœur de leur production n’a pas été publié dans les revues du canon disciplinaire britannique, comme Transactions of the Institute of British Geographers ou Area - « je doute que [les papiers publiés dans ces revues] aient plus d’intérêt que des notes de bas de page » (Haggett, 2008, p. 341). C’est en publiant et surtout en éditant des ouvrages synthétiques que le binôme tente d’assoir son influence. La première monographie de Haggett, Locational Analysis in Human Geography (1965), est une reprise pour un public de géographie humaine de sa partie du cours qu’ils enseignent ensemble à Cambridge. C’est, par la suite, l’ouvrage le plus largement diffusé de la carrière de Haggett et son exportation en Europe continentale dans les années 1970 constitue une norme, ‘l’analyse spatiale’ – traduction en Français de Locational Analysis –, dans la manière dont on y pratique la géographie quantitative (Orain 2016). Mais cette diffusion internationale se fait seulement à la faveur d’années de pilonnage éditorial sur la scène britannique:

Les études de Peter [Haggett] sur la Première Guerre mondiale nous ont convaincus que, face à un groupe de spécialistes bien organisés, mais essentiellement statiques, comme l'était l'establishment géographique britannique dans les années 1960, la bonne stratégie consistait à en attaquer les points de vulnérabilité critiques et à contourner les points forts. En conséquence, nous avons identifié un noyau d'enseignants en lycée intellectuellement insatisfaits, très actifs et très influents comme notre point d'incursion critique. (Chorley 1995, 367)

28Dès 1963, le binôme organise chaque été, et pendant cinq ans, un séminaire résidentiel à Madingley (à quelques kilomètres de Cambridge) où ils réunissent de jeunes enseignants du secondaire et du supérieur, provenant d’une large variété de sous-champs de la géographie. Un autre cycle de séminaires annuels organisé par le même groupe est relancé au milieu des années 1970. A la suite de des premières éditions du séminaire sont publiés, en quelques années, quatre Textbooks influents (Sidaway et Hall 2017), tous dirigés par Chorley et Haggett, qui sont dans les faits des actes des séminaires: Frontiers in Geographical Teaching: the Madingley Lectures (1965), Models in Geography: the Second Madingley Lectures (1967) ; Socio-economic models in geography (1968) et Integrated Models in Geography: Parts I and IV of Models in Geography (1969), deux rééditions augmentées de Models in Geography, publiées très rapidement après le volume original.

  • 25 « Il ne nous appartient pas de juger si cette communalité est suffisante pour constituer la base de (...)

29L'idée qui ressort de cette série d’ouvrages – toujours structurés comme des synthèses des innovations récentes de la géographie –, est celle des modèles comme dispositif élémentaire d’une théorie rajeunie et unifiée de la discipline. Dans le premier chapitre de Models in Geography (1967), (‘Models, Paradigms, and the New Geography’), Chorley et Haggett développent une axiologie de ce qu’une pensée par modèles devrait être : un cadre qui permette de prendre en compte « l’explosion » en cours des quantités de données offertes aux géographes tout en permettant à la discipline de se développer autour d’un paradigme « élégant, approprié et simple » (Ibid. 38). Dès les premières invocations d’idée de « modèle », Chorley et Haggett avancent dans ce même chapitre l’hypothèse, largement autoréférencielle, qu’un « collège invisible » (Ibid.) constituant une potentielle « New Geography » se forme autour d’eux.25

  • 26 Chapitre dans le troisième tome d’Histoire des sciences et des savoirs, ouvrage dirigé par Christop (...)

30Derrière la question des modèles, l’implicite qui peut également expliquer les résistances que Chorley et Haggett essaient de contourner, c’est celui des développements informatiques dans le monde académique. Amy Dahan et Michel Armatte le rappellent en 2015 dans Modèles. De la représentation à l’action :26 à cette époque, les modèles évoluent dans leurs usages – ce sont des instruments de développement scientifique mais aussi des outils d’action, ici sur un certain ordre disciplinaire. « La modélisation stimule la quantification sur laquelle elle s’appuie » (Ibid, p. 344). Les années 1960 correspondent ainsi aux débuts de la mise en compatibilité d’une variété de règles algorithmiques (automates cellulaires, stratégies, théorie des jeux) avec des lois mathématiques. Cette opération est une étape dans l’argumentaire constitué par Chorley et Haggett : les modèles sont un moyen pour la nouvelle géographie d’embrasser la mise en disponibilité de nouvelles infrastructures (notamment de calcul) tout en maintenant l’autonomie de la discipline. Ce cadre conceptuel est largement repris par David Harvey dans son premier ouvrage, Explanation in Geography, qu’il publie en 1969 et qui obtient un succès international (Paterson 1984). L’article de Jeremy Whitehand paraît à peine trois ans après Models in Geography (1967). Dans les critères syntaxiques qu’il utilise pour filtrer les sujets d’examen relevant pour lui de la géographie « nouvelle », le terme de « modèle » (ou analogue) revient 25 fois (Annexe 1), c’est-à-dire plus que le terme d’« analyse » ou même que le champ lexical de l’« espace ». En dressant ces critères, Whitehand inclut sa propre étude, qui est dans les faits l’établissement et l’évaluation d’un « modèle de diffusion » (un des critères de sa liste) d’innovations, dans le corpus émergent de la New Geography.

31Le caractère performatif de cette production conceptuelle et sémantique nous rappelle à une notion développée par le sociologue des sciences allemand Rudolf Stichweh, puis repris avec certaines réserves par Claude Blanckaert en 2006: la science comme « système autopoïétique ». L’autopoïèse, ici, est une analogie biologisante faisant référence à la capacité qu’ont les organismes vivants à produire eux-mêmes les structures nécessaires à leur développement. Un système scientifique est ainsi autopoïétique lorsqu’il produit « ses normes, ses « questions vives », ses modalités d’administration de la preuve, ses structures appropriées » (Blanckaert 2006, §65). Ce processus est pour Stichweh l’une des bases dynamiques de la structuration des systèmes disciplinaires contemporains: l’autorité d’une discipline reposerait ainsi sur un travail d’« autospécification » plutôt que sur une partition « exacte » de ses objets d’étude. C’est pour Blanckaert un mode de production de la science qui trouve une cohérence particulièrement propice à certaines situations. Le cas de la professionnalisation de l’histoire des sciences est parlant, la discipline s’étant structurée depuis la Seconde Guerre mondiale autour d’approches « internalistes » en augmentant sa surface d’érudition de manière telle que les « amateurs » s’en trouvèrent exclus » (Ibid., §67).

32En se posant comme médiateurs et théoriciens d’innovations développées une décennie auparavant aux Etats-Unis, Chorley, Haggett, et leur entourage direct ne traduisent pas simplement dans le monde académique britannique l’idée que l’on peut répondre à des problèmes géographiques en croisant des outils statistiques et des capacités algorithmiques. Ce qu’ils proposent est un aggiornamento de la structure disciplinaire de la géographie au Royaume-Uni, en tissant des sociabilités, en développant un univers éditorial et en adaptant un vocabulaire conceptuel qui gravitent autour d’eux. Dès lors, quand Jeremy Whitehand propose en 1970 l’idée d’un « axe Bristol-Cambridge » de diffusion de la « New Geography », il relate en fait le succès d’une stratégie épistémique et disciplinaire à caractère autopoïétique à laquelle il participe lui-même.

Axe, contre-axes, et mise en histoire de la Quantitative Revolution

33Dans un article intitulé « Pour une épistémologie des controverses en géographie » (2020), Pascal Clerc considère l’étude d’initiatives assimilables à la New Geography comme un moyen de monter en généralité et de poser, à travers ces cas d’étude, la question du positionnement de la géographie dans les systèmes disciplinaires académiques au xxe siècle. Tentons donc, dans cette section, de formuler notre étude de cas comme controverse épistémique et historiographique. Les débats autour de l’axe Bristol-Cambridge font circuler ce schème dans le champ en même temps qu’ils motivent la structuration de contre-récits de la « Révolution Quantitative ». Ces discours sont tous ou presque formulés par les acteurs de cette histoire, et ce de manière émique (Olivier de Sardan, 2008), c’est-à-dire qu’ils sont majoritairement mobilisés en utilisant la langue conceptuelle et méthodologique de l’objet de ces échanges, c’est-à-dire celle de la New Geography.

34En 1976 « l’axe » atteint un premier pic dans sa carrière et est mentionné au plus haut des institutions nationales qui encadrent la discipline. Stanley Gregory, président de l’Institute of British Geographers, donne une allocution au congrès annuel de l’Institut. Sous le titre « On geographical myths and statistical fables », il dresse un argumentaire géographique destiné à contrer une histoire de la géographie quantitative britannique qu’il considère univoque.

Dans les quelques années qui ont précédé et suivi 1960, l'idée d'un axe Bristol-Cambridge était encore à l'état embryonnaire. Le nombre de géographes intéressés par la quantification - quelle qu'en soit la définition - était très faible et très dispersé. Je soupçonne que leur distribution correspondait pratiquement à une courbe de Poisson - un grand nombre de départements ne comptait aucun membre de ce type, un nombre acceptable n'en comptait qu'un seul, et très peu en comptait deux ou plus. Il s'agissait presque certainement d'une distribution aléatoire dans l'espace et l'on ignorait souvent son voisin le plus proche ! Mais, compte tenu du nombre alors limité de publications dans ce domaine, comment ces personnes ont-elles développé leur activité ? Qu'est-ce qui a conditionné cette diffusion initiale ? D'où venait cette influence – ou cette infection ? (Gregory 1976, 386)

35Appel du pied au petit monde de la New Geography et exercice de légitimation de sa parole de président de société de géographes, l’allocution de Stanley Gregory prend à plusieurs reprises la forme d’un règlement de comptes. Gregory illustre, dans la même prise de parole, le pluralisme des origines des approches quantitatives sur le territoire par une typologie. Les « had-beens » sont les New Geographers, ceux ayant été de passage aux Etats-Unis – de préférence chez les Space Cadets. Les « elsewheres » sont ceux qui ont développé leur expérience des méthodes quantitatives sur des terrains étrangers ou en aménagement et développement régional. Enfin, les « home-based » (il s’inclut dans cette catégorie) tirent leur expérience « des domaines qui ont toujours supposé un élément de calcul et de quantification » comme la climatologie (Gregory 1976, 386). L’instance qui réussit à réunir ces trois familles est pour Gregory le Quantitative Methods Research Group de l’Institute of British Geographers, groupe dont les premières traces remontent à 1964, formé par Stanley Gregory lui-même. La boucle rhétorique de l’article est bouclée: c’est la formation de ce groupe qui permet à nombre de géographes praticiens des méthodes quantitatives de dépasser le statut de « singularités isolées dans leurs départements » (Ibid., 387).

36Dave Unwin (1943 -), figure centrale dans la construction du Quantitative Methods Research Group, reprend par la suite une partie de l’argumentaire de Stanley Gregory pour proposer un modèle de diffusion alternatif à celui de Whitehand: un « Axe orthogonal », complémentaire au « Bristol-Cambridge », de Londres à Manchester (Unwin 1999; QuanTile 2005). Les deux figures centrales de cet axe sont Stanley Gregory, représentant le côté londonien de la climatologie quantitative, et Percy Crowe du côté mancunien, mentionné plus tôt dans notre article (en tant que critique acerbe de Chorley et Haggett), et qui fut le professeur de Gregory.

37Plus tard, « l’axe Bristol-Cambridge » se retrouve dans les années 2000 au cœur d’un débat par articles interposés entre d’un côté, Trevor J. Barnes, géographe quantitativiste d’origine britannique – et au parcours également anglo-américain –, spécialiste d’analyse économique converti en historien de la discipline. De l’autre, un groupe d’auteurs constitué autour de Ron Johnston, historien et épistémologue reconnu de la discipline après une carrière en géographie des données électorales – motivée par une formation en licence à Manchester sous l’égide de Percy Crowe (Castree 2021). Ces derniers, dans un article intitulé « The Cold War and geography’s quantitative revolution: Some messy reflections on Barnes’ geographical underworld » (Johnston et al. 2008), répondent à une série d’articles publiés par Barnes (2001; 2004; 2008) qui portent sur les lieux et les premières émanations de la « Quantitative Revolution ». Ils critiquent l’auteur pour la manière dont il théorise le complexe militaro-industriel américain comme impensé déterminant la « diffusion » des approches modélisatrices en géographie, et l’intégration sans prise de distance de « l’axe Bristol-Cambridge » dans cette mise en cohérence vue comme trop simpliste et trop critique de logiques académiques et politiques. L’argument tenu contre Barnes est celui d’une diffusion à « origines multiples », suivant, en le citant profusément, l’argumentaire de Stanley Gregory.

38Difficile de ne pas relever, dans ces prises de position, des sentiers de dépendance remontant aux écoles de géographie quantitative dans lesquelles les protagonistes de ces débats ont été formés. Barnes adopte un argumentaire validant dans une certaine mesure l’idée d’une Révolution Quantitative. Mais pour mieux servir une posture critique à l’encontre de la quantification de la discipline, dans la lignée de son collaborateur fréquent et ex-directeur de thèse Eric Sheppard, ancien élève de Haggett qui entre par la suite en dissidence face à la Spatial Analysis (Sheppard, 1995). D’autre part, Johnston tente dès les années 1980, dans l’ouvrage Geography and Geographers (1983) de dépasser ou du moins d’élargir les conceptions qu’il considère trop univoques, ou « révolutionnaires », de l’influence des perspectives modélisatrices dans la discipline.

39Ce sont des dynamiques que repère Thomas F. Glick, historien des sciences, dès les années 1980. « Philosophy and history of geography » (Glick 1984) est un article à part dans la littérature car il pointe très tôt l’un des défauts constitutifs de l’histoire de la géographie quantitative : son caractère hautement non-professionnel et la surreprésentation d’égo-histoires dans cette littérature. Il est bien le seul, à l’époque, à identifier des « épisodes héroïques » dans les tentatives d’histoire de la géographie sans tenter de légitimer sa position dans la discipline, car il est extérieur à cette histoire.

N'importe quel lecteur peut énumérer un certain nombre de ces épisodes héroïques, qui nous sont décrits encore et encore, mais jamais vraiment expliqués : le déterminisme environnemental et son renversement par le possibilisme ; l'émergence de l'approche régionale ; l'impact de l'article de Schaefer sur l'exceptionnalisme ; les “Garrison's Raiders” et la révolution quantitative, etc. Pratiquement aucun de ces épisodes, pourtant connus de tous les géographes, n'a fait l'objet d'une analyse critique. Leur dynamique, notamment la dynamique sociale par laquelle les idées se succèdent au sein d'un groupe social de professionnels académiques en interaction, n'a été ni comprise ni expliquée. (Glick 1984, 277)

40Par ailleurs, Thomas Glick critique dans cet article l’idée que se fait Ron Johnston de l’histoire de la discipline dans Geography and Geographers (1983). Glick la qualifie de programme « post-Kuhnien » d’objectivation des innovations scientifiques. Il s’agit pour lui d’un «programme roulant», vision de l’histoire des sciences selon laquelle les « programmes de recherche se succèdent, [mais] moins en accord avec la logique de leur développement interne ou d'une structure cognitive qu'en réponse à des stimuli provenant de l'environnement social externe » (Glick 1984, 279). Il associe cette perspective avec l’idée même de l’axe Bristol-Cambridge pour attaquer d’un même effort ces deux idées du changement disciplinaire. «Le « programme roulant » de Johnston se déploie selon des schémas […] qui se prêtent parfaitement aux lois de la diffusion spatiale » (Ibid., 281). Ici, le schème de « l’axe » est considéré par Glick comme un outil qui permet à Johnston de naturaliser non pas un narratif de « révolution » mais une historiographie interne centrée sur des continuités et sur la passivité de la géographie.

41Il est important de mentionner la contribution que fut la parution de la Structure des Révolutions Scientifiques (Kuhn 1962) dans les tentatives internes de formalisation des changements de la géographie dans la seconde partie du xxe siècle. Les idées de paradigme, de révolution et de science normale sont formulées par Kuhn, historien et philosophe des sciences d’abord formé en physique, et ce notamment en référence à des épisodes que traversent la physique théorique et les sciences expérimentales au début du xxe siècle. L’ouvrage trouve néanmoins assez rapidement un succès important en sciences sociales (Wray 2021). En géographie britannique, c’est très clairement dans l’entourage direct de Chorley et Haggett que les premières lectures de Thomas Kuhn sont publiées et appliquées aux changements contemporains de la discipline. Déjà, en 1986, Andrew Mair remarque que ces premiers usages correspondent à la « promotion d’une image scientifique » (Mair 1986, 345), celle d’une discipline en mutation structurelle.

  • 27 « rares sont ceux qui nieraient l'impact significatif que des développements tels que la quantifica (...)

42L’étude de Whitehand (1970) perpétue l’image d’une discipline se redéfinissant autour d’un nouveau paradigme, et ce de manière performative: on retrouve par ailleurs les mots-clés «paradigm» et « new paradigm » dans les critères de classification de sujets d’examen de « New Geography » qu’il utilise. L’article est rédigé avec un clair prisme analytique – celui de la diffusion d’innovations, qu’il tire notamment des travaux de Torsten Hägerstrand, géographe suédois et proche collègue des figures de la New Geography de Bristol et Cambridge. L’article « Models, Paradigms, and the New Geography » de Chorley et Haggett (1965) est par ailleurs cité de manière décontextualisée en introduction de l’article27. Mais on peut soutenir, après les avoir examinés, que les modes d’existence ultérieurs de « l’axe » dans la l’historiographie de la géographie nous montrent que ce schème peut également être mobilisé dans la description – voire la défense – d’épistémologies pluralistes de la géographie.

Fig. 3 – "La révolution quantitative en géographie comme processus de diffusion

Fig. 3 – "La révolution quantitative en géographie comme processus de diffusion

"La révolution quantitative en géographie comme processus de diffusion. Une vision incomplète, simplifiée et anglo-saxonne de la circulation des méthodes quantitatives entre les départements de géographie dans le troisième quart du 20e siècle."

Haggett, 2008, p. 339, adapté de Haggett, 1990

  • 28 Le diffusionnisme est une manière de concevoir la circulation de savoirs, d’innovations ou de nouve (...)

43Dans le cas de l’« axe » comme de ses réceptions et mobilisations, favorables ou non, ce sont des méthodes scientifiques relevant d’un prisme diffusioniste28 et d’une syntaxe spatialisante, structurée en modèles qui est mobilisée lorsqu’il s’agit de donner une cohérence à l’histoire de la géographie quantitative. Peter Haggett reprend et commente d’ailleurs lui-même en 2008 « l’axe Bristol-Cambridge », tout en repositionnant le schème dans un contexte de « diffusion » internationale minorisant au passage la place de ses collègues britanniques, lorsqu’il cartographie « Les aspects locaux de la révolution » (Figure 3).

Conclusion

44Au Royaume-Uni, le développement de la géographie quantitative à partir des années 1960 se fait dans un milieu disciplinaire hautement instable et résistant à l’établissement d’un canon théorique univoque. Dès les années 1970 et 1980, l’émergence de la géographie radicale, représentée d’ailleurs en partie par d’ancien-es New Geographers comme Doreen Massey ou le susnommé David Harvey – aujourd’hui le géographe le plus cité dans le monde académique (Wyly 2020) — rajoute un niveau de complexité aux luttes de légitimité qui ont lieu à l’intérieur des institutions de la géographie britannique. En définitive, dans ce cadre, la persistance dans des débats autour de l’histoire de la discipline de schèmes tels que « l’axe Bristol-Cambridge », n’est pas anodine. Tout comme les usages performatifs de la Structure des Révolutions Scientifiques de Thomas Kuhn par les acteurs britanniques de la Quantitative Revolution, la schématisation par ses tenants de cette « Révolution » à travers un modèle de diffusion accompagné d’un ensemble d’évocations graphiques – marque de fabrique de la modélisation en géographie (Orain 2016) –, a pour effet de délimiter prospectivement comme rétrospectivement la place de la géographie quantitative dans la matrice disciplinaire. Les jeux d’étiquettes, de « buzzwords » (Gingras 2010), de perméabilité à des canons théoriques externes à la discipline ou bien de tendances à forcer le trait des singularités d’une ‘nouvelle’ géographie se font en fonction ou par défi des ordres disciplinaires.

45Cette contribution à l’histoire et à la sociologie de la géographie quantitative nous permet d’identifier et de préciser plusieurs traits de son historiographie interne. Notre approche, centrée sur les interactions entre géographes (soit dans des moments de collaboration ou d’affrontement, soit dans les pratiques de citation), nous permet à partir de leur production historiographique de mettre en lumière des tensions d’ordre épistémique mais aussi institutionnelles. Celles-ci peuvent avoir lieu entre la géographie quantitative et d’autres branches de la discipline, mais aussi – et surtout, ici, – entre les «quantitativistes». Mais elle nous permet également, au passage, de reconstruire la carte universitaire du Royaume-Uni au xxe siècle, telle qu’imaginée, souhaitée, ou même négociée par les géographes eux-mêmes. Enfin, cette étude de cas oriente notre regard vers les spécificités de la production académique britannique dans la production et la circulation internationales des savoirs géographiques. Dans la continuité des travaux qui déconstruisent la place des géographes étatsuniens comme seuls pionniers de la « Révolution quantitative », cet article montre le rôle nodal des britanniques et en particulier de la génération sujette au Brain Drain dans l’invention de labels, de cadres historiographiques et de « turning-points » qui influencent encore aujourd’hui la manière dont on définit la géographie comme discipline.

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Anexo

Annexe

Liste de termes que Jeremy Whitehand utilise pour identifier les sujets d’examen relevant de la « New Geography » (Whitehand 1970, 30)

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Notas

1 La diffusion de l’innovation au sein d’une discipline académique : le cas de la « New » Geography.

2 Dans notre article, les citations extraites d’entretiens et d’articles en anglais seront traduites en français.

3 Les contributeurs aux développements récents et à l'influence de la géographie humaine : ce que l'analyse des citations suggère

4 Qui s’appuie sur les représentations, la langue et les cadres épistémiques du groupe étudié.

5 L’investissement dans les «quangos» est d’ailleurs sujet à débat dès le début des années 1970 au Royaume-Uni – et certains députés et ministres conservateurs, dont Margaret Thatcher, s’engagent personnellement dans la lutte contre ces institutions (Cole, 2006).

6 National Archives, EW 8/408. Sur proposition en 1965 de Richard Crossman, Ministre du Logement, le gouvernement Wilson accepte une dotation de 750.000 livres de la Fondation Ford pour mettre en place un centre de recherches indépendant dédié à l’«environnement bâti» et aux enjeux de mobilités.

7 National Archives, OS 1/1275. Unité co-supervisée par le Natural Environment Research Council (fraîchement créé) et le Royal College of Art, dont le but est de développer des techniques de cartographie automatique plus efficaces. C’est la première fois que le sujet n’est plus seulement la prérogative de l’Ordnance Survey, équivalent britannique de l’IGN.

8 L’expression, qu’on peut traduire en français par « fuite des cerveaux », a été justement été introduite pour la première fois à la fin des années 1950, dans le cadre des migrations scientifiques du Royaume-Uni vers les Etats-Unis (Dumitru, 2009).

9 A l’opposé du concept d’autonomie dans le vocabulaire bourdieusien (Sapiro, 2019).

10 Cette formule est un clin d’œil à Un tout petit monde, titre français du roman universitaire Small World, de David Lodge (1984) – dont l’action se déroule par ailleurs dans le monde universitaire britannique des années 1970.

11 Une fois ce groupe identifié, il est difficile de ne pas vouloir établir d’homologies avec le monde universitaire français et une «Génération 1930» (Bataillon, 2009) de dignitaires de la géographie académique ayant participé à la recomposition du champ, notamment par leurs activités éditoriales et leurs engagements institutionnels. Mais les formations de ces personnages (bien que leurs itinéraires se croisent), leurs lieux d’activité en France et – surtout – les formes que prennent leur volonté de réformer la discipline sont bien plus diverses que dans le cas du collectif que nous étudions ici.

12 En 1970, Cambridge n’accepte en moyenne que 40 % d’élèves provenant d’écoles publiques (House of Commons Library, 2021).

13 Laboratoire ayant produit, à l’écriture de cet article, 30 prix Nobel. Il était à l’époque en pleine expansion – sur le plan expérimental comme théorique (Longair, 2016).

14 Aujourd’hui, Progress in Human Geography, une des émanations de Progress in Geography, est la revue de géographie académique la plus citée au monde (Données de Google Scholar, mai 2024).

15 Mentor de Richard Chorley à l’Université Columbia en géomorphologie statistique.

16 « To flood », dans le texte

17 Les motivations mobilisées par les enquêtés de l’ouvrage pour traverser l’Atlantique sont souvent peu liées à des questions purement épistémiques. Par contre, le manque de formation sérieuse entre la licence et le doctorat au Royaume-Uni est plusieurs fois mentionné dans ce même recueil.

18 La majorité des informations qui suivent sont tirées de mélanges intitulés Bristol Geography, 1920-1995 : a family scrap-book to mark the 75th anniversary of the Geography Department (1995).

19 University of Leeds Special Collections, LUA/ADM/010/42/1/3. Appointment of a new Chair in Geography.

20 Réalisé à Bristol, le 11 mars 2024.

21 « Location theory » en langue anglaise

22 Réalisé à Londres, le 29 mars 2023.

23 « [Les titulaires de chaires] étaient en poste, et on attendait d'eux qu'ils soient, en tant que chefs de département, chefs de leur empire, en empereurs de leur sujet. Ils déterminaient qui était nommé, ce qu'ils faisaient, à quoi ressemblaient les cours, et ce qu'ils n'enseignaient pas. » (Entretien avec Tony Hoare, 2024)

24 Réalisé à Londres, le 13 mars 2023.

25 « Il ne nous appartient pas de juger si cette communalité est suffisante pour constituer la base de ce que Manley (1966) a qualifié de « nouvelle géographie ». (Chorley et Haggett, 1967:19). Les deux auteurs font ici référence à un article de Gordon Manley, climatologue renommé, intitulé « A New Geography » et paru dans le Guardian, qui est en fait une recension de Frontiers in Geographical Teaching, leur ouvrage précédent (1966).

26 Chapitre dans le troisième tome d’Histoire des sciences et des savoirs, ouvrage dirigé par Christophe Bonneuil et Dominique Pestre (2015).

27 « rares sont ceux qui nieraient l'impact significatif que des développements tels que la quantification et la construction de modèles ont eu sur le domaine et certains suggèrent qu'un nouveau paradigme en est le résultat logique (Chorley et Haggett, 1967) » (Whitehand, 1970, p.19)

28 Le diffusionnisme est une manière de concevoir la circulation de savoirs, d’innovations ou de nouveautés comme un flux centralisé (ou multi-centralisé), irriguant par la suite des périphéries (Chazaro et Gorbach, 2016)

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Índice das ilustrações

Título Fig. 1 – Pourcentage de questions de partiels en ‘New Geography’ (par département de géographie britannique), en fonction de la distance en kilomètres avec « l’axe Cambridge-Bristol », en 1969
Créditos Whitehand 1970, p. 23
URL http://journals.openedition.org/terrabrasilis/docannexe/image/15491/img-1.png
Ficheiros image/png, 41k
Título Fig.2. Andy Cliff, Peter Haggett et Arthur Getis au département de géographie de Bristol (1967)
Legenda Andy Cliff (au premier plan à droite), à l’époque doctorant, montre à Peter Haggett (debout, au milieu de l’image) et à Arthur Getis, représentant des ‘Space Cadets’ en visite des Etats-Unis (debout, à droite de l’image) les capacités du premier ordinateur programmable du département de géographie de Bristol (1967)
Créditos University of Bristol, 1995
URL http://journals.openedition.org/terrabrasilis/docannexe/image/15491/img-2.png
Ficheiros image/png, 252k
Título Fig. 3 – "La révolution quantitative en géographie comme processus de diffusion
Legenda "La révolution quantitative en géographie comme processus de diffusion. Une vision incomplète, simplifiée et anglo-saxonne de la circulation des méthodes quantitatives entre les départements de géographie dans le troisième quart du 20e siècle."
Créditos Haggett, 2008, p. 339, adapté de Haggett, 1990
URL http://journals.openedition.org/terrabrasilis/docannexe/image/15491/img-3.png
Ficheiros image/png, 61k
URL http://journals.openedition.org/terrabrasilis/docannexe/image/15491/img-4.png
Ficheiros image/png, 257k
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Para citar este artigo

Referência eletrónica

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Autor

Nicolas Szende

Doctorant en géographie, ULR TVES / UMR Géographie-Cités, France. ORCID : 0009-0008-8718-0804

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