1L’objectif principal de cet article est de définir plus précisément la place et le rôle des reliefs en stuc polychromé au sein de la production plus générale de la sculpture polychromée en Italie pendant la Renaissance. Quand le stuc était-il préféré aux autres matériaux ? Est-il possible d’identifier un profil caractéristique des commanditaires ? Ces reliefs correspondent-ils à un marché précis ? Sont-ils destinés à une fonction spécifique ? Mais il est avant tout nécessaire de définir les matériaux que nous évoquons.
2Le stuc fait en effet partie de ces matériaux composés soit d’un mélange à base de chaux, soit d’un mélange à base de gypse, bases auxquelles on ajoute des agrégats et des liants pour produire une pâte qui solidifie à froid. Traditionnellement, le stuc est constitué de chaux éteinte (hydroxyde de calcium) et de poudre de marbre qui, une fois la prise terminée, se transforme en carbonate de calcium. On y adjoint souvent de la colle protéinique.
3L’emploi du stuc en sculpture est une technique déjà connue dans l’Antiquité. Au Moyen Âge, durant la période lombarde, il fut très utilisé, comme en témoignent les sculptures du petit temple de Cividale del Friuli ou deux reliefs de La Vierge et l’Enfant du musée de Santa Giulia à Brescia (inv. S. 339 et inv. S. 340). Pour ces deux dernières sculptures, une analyse 14C des fragments de roseaux formant la structure intérieure des deux sculptures1 confirme une datation de la première moitié du ixe siècle.
4L’emploi de roseaux, ou plus généralement d’armatures et de remplissages végétaux2, sera la règle pour les stucs dans l’architecture jusqu’à la période des grands stucateurs tessinois de la période baroque, lointains héritiers des maîtres lombards et de l’île Comacina, ou de l’Allemand Johann Michael Graff, ainsi que de Giacomo Serpotta à Palerme. Dans tous ces cas, il s’agit de stuc modelé plutôt que moulé, le matériau contenant aussi des restes de bois, de tissu et, dans le cas de Serpotta, présentant trois couches de stuc différentes depuis le cœur jusqu’à la surface, et enfin une couche de gypse pour la finition.
- 3 On parle de quelque chose de similaire à la pastiglia dans le Libro dell’Arte de Cennino : un mélan (...)
5Les « stucs » à base de plâtre, quant à eux, sont employés pour la décoration murale dès la période gothique tardive. Ce même type de stuc décorait également les peintures sur bois : on parle alors de pastiglia, matière qui pouvait être modelée ou, le plus souvent, moulée pour reproduire les ornements des cadres ou les détails des costumes. Ce type d’emploi introduit plus directement la pratique de la réalisation d’empreintes à partir des moulages3.
- 4 Koller, 2000, p. 73-80.
6Dans les pays germaniques, à la période gothique tardive, apparaît aussi la technique du Steinguß, « pierre coulée » au sens littéral. Ce savoir-faire se diffusera jusqu’en Italie centrale, en traversant la chaîne des Apennins4. Cette diffusion suit la voie de la dévotion, celle de la reproduction fidèle d’une image vénérée. L’imitation des modèles originaux se fait alors à travers l’adoption de la même technique d’exécution.
- 5 Koller, 2000, p. 49.
- 6 Castri, 2012, p. 44-45, 49-50.
7Les nouvelles pratiques de dévotion exigent la reproduction fidèle d’une image particulièrement vénérée. Cet impératif explique le développement des techniques de reproductions sérielles de reliefs, techniques qui semblent surtout s’être développées dans la région rhénane et hessoise (entre le Rhin et la Hesse) et plus largement dans l’ensemble des Pays-Bas germaniques. Différents matériaux sont mis en œuvre : stuc, comme dans le cas d’un relief en stuc polychromé d’une Vierge et l’Enfant du musée de Karslruhe (inv. n. L), dont on connaît une version coulée en fer, les deux étant dérivées d’un modèle sculpté en noyer5, mais aussi cartapesta (papier mâché), technique également inventée dans le monde germanique. Parmi les premiers exemples de sculptures en cartapesta, on peut mentionner le Vesperbild publié par Serenella Castri. Cette œuvre, d’abord située dans les années 1370-1380, date plus probablement de la première moitié du xve siècle (fig. 1)6.
Fig. 1. Sculpteur allemand, première moitié du xve siècle, Vierge Marie d’un « Vesperbild », stuc, pastiglia et cartapesta
Collection particulière. © S. Castri.
- 7 Danti, Ruschi, 1986, p. 18.
8Dans l’Italie du Quattrocento, c’est Florence qui, de toute évidence, semble être le centre de la production des reliefs en stuc obtenus par moulage. Outre une production de reliefs en stuc gypseux, de dimensions modestes et facilement transportables, on trouve également, beaucoup plus rarement, des œuvres de grandes dimensions comme les reliefs de Donatello dans la Vieille Sacristie de la basilique San Lorenzo. Ces médaillons représentent les quatre Histoires de Saint Jean l’Évangéliste (diamètre : 215 cm) ; ils ont probablement été réalisés en 1428-1429, en stuc à base de chaux7.
9Venons-en au cœur de cet article : les très nombreux reliefs de Vierge et l’Enfant, reliefs moulés obtenus à partir d’originaux en marbre ou en terre cuite par l’intermédiaire d’un moule en plâtre.
- 8 Gentilini, 2019, p. 38-39.
10Les versions les plus reproduites reprennent des modèles de Ghiberti, Donatello, Jacopo della Quercia, Desiderio da Settignano, Antonio Rossellino ou encore Benedetto da Maiano. Comme l’estime Giancarlo Gentilini, l’atelier le plus actif dans la production de ce genre d’objets dans la première moitié du xve siècle a manifestement été celui de Lorenzo Ghiberti8. Celui-ci, dans ses Commentarii, définit le modelage en argile comme « mère de l’art statuaire c’est-à-dire de la sculpture ». De plus, l’auteur affirme qu’il a « fait beaucoup d’œuvres en cire et en argile » qui avaient procuré « à plusieurs peintres, sculpteurs et statuaires… de très grands honneurs ».
11Nombreux sont les sculpteurs florentins célèbres qui font leur apprentissage avec Ghiberti dès l’époque de la première porte : Michele da Firenze, de 1404 à 1406 ; Donatello entre 1403 et 1407 ; Luca della Robbia également, dont on dit dans un document de 1427 qu’il « fait les portes », c’est-à-dire les portes par excellence, celles du Baptistère florentin.
12Les Madones de Ghiberti furent reproduites en série, comme en témoignent aujourd’hui les nombreuses copies parvenues jusqu’à nous. Le principal matériau utilisé pour ces moulages était en effet le stuc. S’agit-il de stuc à base d’hydroxyde de calcium (chaux éteinte – ou chaux grasse) ou de plâtre ? La variabilité des recettes et de leurs mélanges est telle qu’il est quelquefois difficile de classer les reliefs dans la catégorie des stucs au sens strict.
13Pour la production de reliefs de dévotion, objets transportables, le stuc, de composition et d’épaisseur variables, était appliqué sur différents types de supports.
- 9 Baldinucci, 1681, p. 159.
« Stucco : mélange de différents matériaux employé pour attacher ou bouche (...)
14Le mot « stucco » se trouve dans le Dictionnaire toscan des arts du dessin de Filippo Baldinucci en 16819. C’est un texte tardif, mais qui reprend la tradition précédente.
« Stucco : composto di diverse materie tegnenti per uso propriamente d’appiccare insieme, o di riturar fessure. Serve anche per lavori di Musaico, per fare statue, e modanature, cesellare, e altre cose, secondo le materie delle quali è composto.
Stucco bianco da agguagliare : uno stucco col quale si riturano i convenenti, o commettiture delle statue rotte. È una mestura di mastico da denti, masticato e fuso al fuoco con cera bianca, e polvere di marmo sottile.
Stucco da far figure e altro : una mestura di scaglia di marmo ben macinata, e calcina di scaglia di marmo, o trevertino ; serve per far colonne, cornici, e altri ornamenti d’Architettura, e figure : ed è durevolissimo ; perché in processo di tempo si fa duro quasi quanto lo stesso marmo.
Stucco da far musaico : una mestura, che per ordinario si fa di trevertino, calcina, matton pesto, dragante, e chiara d’uovo ; che fa una presa tanto forte, che quasi non à mai fine il lavoro, che con essa si fa.
Stucco da legnaiuoli : fassi di gesso stemperato con colla ; e gli si dà vari colori (secondo a che sorte di legnamesi adopera) per turar fessure.
Stucco da ricommettere o acconciare statue : una mistura di pecegreca, cera gialla, e trementina con polvere di marmo, con la quale si ricongiungono i pezzi delle statue rotte, impernando prima interiormente i pezzi con perni di bronzo o di rame, e non di ferro ; perché la ruggine di esso col tempo dilata i fori ne’ marmi. »
15Parmi toutes ces variétés, celles qui nous intéressent sont d’abord le « stucco da far figure » (stuc pour faire les figures), à base de chaux éteinte et de poudre en marbre, mais plus encore le « stucco da legnaiuoli » (stuc des menuisiers), à base de plâtre et de colle. Dans de nombreux cas, on parle de « Vierges en plâtre » dans les documents florentins.
- 10 Baldinucci, 1681, p. 29.
16Le plâtre, employé seul, peut être aisément coulé dans des moules ou être déposé en fine couche sur une toile. Dans ce dernier cas, le procédé est similaire à celui mis en œuvre pour la cartapesta, mais en modifiant l’ordre des différentes étapes de fabrication : pour le papier mâché, on étale dans le moule une fine couche de mélange à base de papier, d’eau et de farine. Il s’agit d’une « colle de farine » utilisée traditionnellement pour la cartapesta. On applique sur le moule une couche de papier macéré dans l’eau – la véritable cartapesta comme celle indiquée dans la recette de Baldinucci – qui pouvait être mélangée avec de la colle de farine ; ou bien une couche de colle de farine était appliquée sur celle de cartapesta ; enfin, on plaçait toujours sur le revers une toile pour renforcer l’ensemble et permettre un démoulage plus facile, une toile étant appliquée par-dessus ; une fois détaché du moule, le moulage est affiné10. Pour réaliser un moulage en plâtre, la toile appliquée derrière le moule est fixée et, une fois détachée, le plâtrage est effectué. Dans ce dernier cas, l’adhérence du moulage est inférieure.
- 11 Ibid., p. 29.
- 12 Bellandi, 2008 ; Gentilini, 2008, p. 17. Ce dernier propose un très large catalogue des copies de L (...)
17La cartapesta macérée, presque liquide, ou bien réduite « comme un onguent », tel que le définit Baldinucci11, a une consistance idéale pour adhérer au moule. Les objets créés sont certes fragiles, l’épaisseur de la matière fine, et même très fine, mais ils ont l’avantage d’être légers, voire très légers. C’est pourquoi ils peuvent être placés en hauteur, suspendus, y compris sur des supports peu robustes ; ils sont aussi facilement transportables. Ce n’est donc pas un hasard si deux des versions en papier mâché de La Vierge aux candélabres d’après un modèle florentin d’Antonio Rossellino se retrouvent dans la région des Marches12.
18Pour ce qui est des « stucs », outre les caractéristiques multiples du matériau support, il faut surtout prendre en compte la grande variété de traitements de surface. La polychromie et la dorure individualisent chaque moulage, les transformant en objets uniques. Cette constatation nous conduit à réfléchir sur l’utilisation, le rôle des reliefs en stuc polychromes, sur leur fonction, mais aussi, plus largement, sur leur place dans la hiérarchie des arts de Florence et de l’Italie de la Renaissance.
19La reproduction en grandes séries de ces modèles, l’utilisation de matériaux bon marché, leur présence fréquente dans les édicules au coin des rues, à l’intérieur des habitations, y compris celles des moins riches, ont naturellement permis une vaste diffusion des reliefs. Mais il serait sans doute trop simpliste de ne voir dans ces œuvres qu’un « arte povera », un art pauvre. En effet, la décoration plus ou moins riche et le soin apporté à la polychromie faisaient la différence. L’œuvre, qu’elle soit en terre, en « stuc », en plâtre, selon le niveau de sa finition, la qualité et le choix des matériaux de son décor, pouvait non seulement satisfaire une clientèle réclamant des prix accessibles, mais aussi trouver sa place dans les milieux les plus raffinés si elle était richement décorée.
20Ces reliefs sont obtenus à partir de moulage (souvent en plâtre) sur des originaux en marbre ou en terre cuite. Comme évoqué précédemment, les modèles les plus fréquemment repris correspondent à des créations de Ghiberti, Donatello, Jacopo della Quercia, Desiderio da Settignano, Antonio Rossellino ou Benedetto da Maiano.
21Parmi les premières versions de Vierge et l’Enfant les plus répandues, on peut mentionner trois séries, chacune connue en plusieurs dizaines d’exemplaires, qui sont diversement attribuées aux principaux protagonistes de la scène florentine du début du xve siècle.
- 13 Gentilini, 2019, p. 36 : « L’excellente qualité du modelé, les contre-dépouilles plus marquées, les (...)
22La redécouverte de la surface originelle de la Vierge en terre cuite actuellement exposée au musée Bandini de Fiesole, œuvre admirablement modelée et richement décorée, conduit à considérer cette dernière comme le modèle d’où proviennent de nombreux tirages en stuc. « La qualità eccellente della plastica, i sottosquadri più marcati, insieme alle tracce di svuotamento visibili sul retro, le differenze nelle più complesse e morbide ricadute del manto o la presenza della coroncina sulla testa della Vergine, trasformata nelle altre versioni – come quella in esame – in una cresta del panneggio, oltre al basamento con l’inconsueta decorazione ad archetti gotici polilobati, inducono infatti a ritenere la Madonna di Fiesole un’opera direttamente modellata, e quella stessa da cui fu tratta la forma per foggiare a calco gli altri esemplari in terracotta o in stucco, come confermano anche le analoghe dimensioni13. »
- 14 Toute cette série de reliefs est étudiée dans Gentilini, 2019.
23La Madone du Palazzo Davanzati, elle aussi en terre cuite, dérive de la Madone de Fiesole, mais elle apparaît légèrement plus mince et montre, à l’arrière, un traitement différent : il n’y a plus de traces d’outils typiques de l’ablation de l’argile, mais seulement les empreintes des doigts qui ont pressé l’argile dans un moule. De ce même modèle de la Madone de Fiesole dérive aussi la copie en stuc de la collection Chigi Saracini de Sienne, que l’on peut comparer également à une version ultérieure en stuc, celle de la collection Fava à Cento14. Il est évident qu’il s’agit de deux types de stuc différents : le premier est un conglomérat possiblement à base de chaux avec beaucoup de charge inerte, le second présente une pâte bien plus homogène, à base de plâtre, posée en couches fines dans le moule. Il est difficile de déterminer la chronologie, mais le second exemplaire est mieux adapté à un éventuel déplacement.
24Provenant sans doute de l’entourage de Ghiberti, un autre modèle, L’Enfant aux bras croisés, présente une iconographie qui préfigure le sujet de la Pietà. Il y a plusieurs années, j’ai redécouvert un relief en terre cuite dans les réserves du Castello Sforzesco à Milan, où il était inventorié comme sculpture en bois15. Par rapport à un exemple caractéristique en stuc, ce relief présente des débords et des contre-dépouilles plus grandes, tout en étant moins aplati. L’arrière est creusé, évidé, comme dans le cas de l’argile modelée directement, à la différence des matériaux pressés dans un moule.
25En plus de l’aspect technique, qui nous place face à un possible modèle original, il est intéressant d’examiner l’aspect stylistique. Il s’agit d’un relief dont la facture n’a rien d’exceptionnel, mais qui est plutôt d’un caractère âpre, un peu archaïque, ce qui semble le situer chronologiquement dans une phase très précoce. Certaines caractéristiques du relief nous permettent de le comparer aux sculptures attribuées soit à Ghiberti, soit encore au jeune Donatello, comme la Vierge sur un faldistoire du Victoria and Albert Museum. Il est en effet hautement plausible qu’au sein de l’atelier de Ghiberti, alors que lui-même était engagé dans la réalisation de la première des portes du Baptistère, beaucoup d’artistes aient pu contribuer à l’élaboration de ces modèles. Il y avait dans cet atelier presque tous les plus grands talents de la nouvelle génération de sculpteurs florentins (voir supra).
- 16 Gentilini, 2019, p. 40-48.
26Pour ce qui concerne Donatello, on se limitera ici à mentionner La Madone de Vérone dont il existe plusieurs exemplaires. L’original perdu, que Donatello a dû réaliser pendant son séjour à Padoue entre 1447 et 1453, avait été probablement conçu dès le départ pour être reproduit par moulage. On en connaît des copies en terre cuite comme celle des réserves du Metropolitan Museum of Art à New York ; en stuc, comme celle du Victoria and Albert Museum, ou bien encore en cartapesta, comme celle du Louvre16. Parmi toutes les copies, cette dernière est peut-être la plus fine, celle qui témoigne le plus fidèlement de la qualité de l’original. Si l’on réfléchit en effet à l’ancienne technique de la cartapesta, on sait qu’il était possible d’obtenir par macération du papier dans l’eau un matériau assez fluide, facile à travailler, malléable et extrêmement ductile, idéal pour le moulage. Une fois détachée du moule, la fine coque de papier mâché formant le relief était consolidée avec un travail de fer à chaud pour être recouverte ensuite d’une couche de finition à base de plâtre et ornée de polychromies. Il en résultait un relief léger, facile à transporter.
27La production de Donatello présente la plus grande variété de matériaux, dans une expérimentation continuelle qui nous étonne encore. Par exemple, le relief de la Vierge des cordonniers du musée Bardini a été modelé en cocciopesto (un mélange de terre cuite finement broyée et d’un mortier de chaux, matériau employé en général dans l’architecture) ; cette pièce montre aussi une audacieuse utilisation de morceaux de cuir pressé. Un autre aspect remarquable de l’art de Donatello est sans doute le stiacciato, un très bas-relief. Il a utilisé cette technique dans les reliefs en série, privilégiant ainsi, plutôt que le relief sculpté, ce que l’on pourrait appeler le « tableau en relief ».
28Suivant cet exemple, les sculpteurs du xve siècle ont graduellement remplacé les figures scontornate (découpées), réalisées en très haut-relief, en stuc très épais, par des formes en plus bas-relief. Que ce soit Desiderio da Settignano, Antonio Rossellino ou Benedetto da Maiano, tous ont réalisé des « tableaux en relief » dans lesquels la diminution des épaisseurs s’accompagnait d’un changement de la composition du stuc. C’est à partir de la deuxième moitié du xve siècle que les pâtes à base de plâtre prévalent sur celles à base de chaux. L’amincissement était souvent lié à la volonté de rendre les reliefs plus légers en ajoutant des fibres végétales : pailles, lambeaux de tissu (tissus effilochés) et, si nécessaire, du papier.
- 17 Florence, musée national du Bargello, inventaire Sculpture n. 415.
- 18 Par exemple la Madone en stuc du musée Bardini (inv. 1206).
29Dans la deuxième moitié du xve siècle, la tendance générale au plus bas-relief apparaît également dans la terre cuite, même si l’argile permet un modelé plus saillant. On peut le constater en comparant par exemple la superbe Vierge de Verrocchio (vers 1475)17 avec la plupart des stucs toscans plus anciens, tels que ceux attribués à Jacopo della Quercia18.
30Au xvie siècle, le cas de treize grands reliefs en cartapesta réalisés dans l’atelier de Jacopo Sansovino19 est extraordinaire. Les nombreux reliefs en papier mâché encore conservés aujourd’hui témoignent de la réputation de cet artiste. Pour les reliefs de dimensions vraiment monumentales dont il est question ici (la Vierge du Louvre atteint 1,43 mètre de hauteur pour 1,1 mètre de large), le choix du matériau a été fondamental. Il aurait en effet été difficile d’extraire des reliefs en stuc si grands de moules de ce type. Le prototype d’origine à partir duquel certains moulages ont été réalisés devait être en terre cuite. Nous proposons ici un photomontage de détails de trois Madones : celle en cartapesta polychromée du Bargello, celle en cartapesta blanche du Louvre et la Madone en terre cuite de Vicence (fig. 2). Les dimensions des originaux sont les mêmes et, comme on peut le voir, les détails correspondent parfaitement.
Fig. 2. Photomontage de trois Madones de Jacopo Sansovino (à gauche, La Vierge et l’Enfant, Florence, musée national du Bargello (cat. N. 471) ; en haut à droite, La Vierge et l’Enfant, Paris, musée du Louvre, département des Sculptures (RF 746) ; en bas à droite, La Vierge et l’Enfant, Vicence, Musée municipal
© M. Brunori, Florence.
- 20 Vasari, 1789, p. 34-35.
31Sansovino voulait faire de la sculpture « un séminaire pour toute l’Italie », en diffusant la buona maniera, comme Vasari l’a écrit dans la biographie « supplémentaire » du sculpteur et architecte publiée en 157020. Les reproductions de ses représentations de la Vierge en plusieurs exemplaires sont passées par les mains de personnages comme Pietro Aretino (l’Arétin) et Vittoria della Rovere. Les moulages en papier mâché, légers, permettaient à ces grandes compositions d’être transportées assez facilement même jusque dans des endroits parfois très éloignés.
- 21 Casciaro, 2015.
- 22 Les détails en toile imbibée se trouvent dans les sculptures du retable de San Benito el Real, aujo (...)
32Dans les années florentines de son séjour italien au début des années 1510, le Castillan Alonso Berruguete a dû s’essayer, lui aussi, aux « tableaux en relief » de tradition florentine. En témoigne ce relief du musée Bardini que nous lui avons attribué il y a quelques années (fig. 3)21. La technique, qui sera plus tard décrite avec précision par Baldinucci, est exactement la même que celle de Sansovino. Berruguete rentre ensuite en Espagne, où ni le papier mâché ni le stuc n’étaient utilisés en sculpture. Dans le retable de San Benito el Real, son magnifique chef-d’œuvre aujourd’hui au musée national de la Sculpture de Valladolid, il utilise de la toile trempée dans le plâtre pour réaliser les drapés appliqués à ses sculptures en bois : un exemple de sculpture polymatérielle, souvenir de sa période florentine22.
Fig. 3. Alonso Berruguete, La Vierge et l’Enfant, vers 1515, cartapesta, Florence, musée Bardini
© R. Casciaro.
- 23 Fogg Art Museum, no.1929.225 “Terracotta & plaster figures on wood & iron frame; cloth drapery with (...)
- 24 Caglioti, De Marchi, 2019, p. 263-293 (chapitre sur : « Da Verrocchio a Leonardo: il “piegar de’ pa (...)
33Enfin, à propos de toile enduite de plâtre, il faut mentionner ici l’exemple de cette statue conservée dans les réserves du Fogg Art Museum à Cambridge (Massachusetts) (fig. 4). Attribuée dans le passé à Verrocchio, elle a été également mise en relation avec Léonard de Vinci dans une étude de Garris Brandt23. C’est un des rares objets connus aujourd’hui réalisé avec cette technique ; on aurait pu l’ajouter à l’exposition florentine sur Verrocchio de 2019, dans la salle des études sur les drapés, d’autant plus qu’il est bien connu que les peintres, aussi bien que les sculpteurs, étudiaient les drapés à partir de maquettes/modèles24.
Fig. 4. Sculpteur florentin (attribuée à Verrocchio), La Vierge et l’Enfant, terre cuite, stuc polychromé, avec drapé en tissu et colle, Cambridge (Ma.), Fogg Art Museum
© Fogg Art Museum, Cambridge (Ma.)
- 25 Boucher, 1991, p. 345-346. Bonelli, Vaccari, 2006.
34En conclusion, terminons avec une composition attribuée à Jacopo Sansovino, qui se trouve à Venise, au Pensionato delle Muneghette (fig. 5)25. Elle est constituée à la fois de stuc et de papier mâché, et peut être ici considérée comme une sorte de synthèse des techniques décrites dans cet article. Il s’agit peut-être d’un modèle pour statues en marbre ou en bronze, mais cette pièce pourrait aussi être considérée comme une œuvre « autonome », originale. C’est en tout cas l’une des rares œuvres conservées qui montre que les matériaux « légers » ont été au centre des expérimentations et des études de l’artiste qui, à Venise, s’est révélé le véritable héritier des ateliers florentins du xve siècle.
Fig. 5. Jacopo Sansovino et atelier, Vierge avec l’Enfant et des anges, vers 1532, toile, stuc et cartapesta, Venise, Pensionato delle Muneghette
© Pensionato Muneghette/D’après Boucher, 1991, II, fig. 329.