Aller au contenu

Conditionnel

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Le conditionnel est un terme apparu au xvie siècle pour désigner une forme verbale du français. Cette appellation, bien que critiquée, s’est également fixée pour désignée une forme verbale commune à la plupart des langues romanes qui, bien qu’inexistante en latin, sert à l’expression du futur dans le passé et à l’expression de valeurs modales d’éventualité, d’information incertaine et d’atténuation.

En dehors du cadre des langues romanes, le terme est donc parfois aussi employé pour désigner des formes verbales possédant les mêmes valeurs. Certaines langues disposent en effet de formes spécifiques pour exprimer ces valeurs, et peuvent être nommées langues à conditionnel, les autres langues signifient tout ou partie de ces valeurs par d’autres moyens. Le « conditionnel » reste néanmoins une dénomination en français d'une forme verbale des langues romanes. L'emprunter pour étudier d'autres langues nécessite des précautions. Les travaux anglo-saxons, par exemple, ne traitent pas d'un temps verbal conditionnel mais de la conditionnalité et des différentes formes de son expression.

Langues à conditionnel et langues sans conditionnel

[modifier | modifier le code]

L'existence d'un même marqueur de la valeur temporelle de futur dans le passé et de valeurs modales, est un trait définitoire des conditionnels des langues romanes, à l'exception notable du roumain. On la retrouve cependant dans d’autres langues : notamment les créoles, les langues germaniques, le chinois, le thaï et le vietnamien[1].

Langues romanes

[modifier | modifier le code]

Le conditionnel n'existe pas en latin. Dans les langues romanes, il est issu d'une périphrase verbale « infinitif + habēre (« avoir ») ». Cette périphrase apparaît en bas latin au début du iiie siècle, où elle s'observe chez les écrivains et théologiens chrétiens, à partir de Tertullien[2].

On peut distinguer trois type de formation du conditionnel dans les langues romanes : dans certaines langues, en particulier le florentin et le siennois, et par conséquent, l'italien littéraire, la désinence du conditionnel est issue du verbe habere conjugué au parfait. Certaines langues utilisent un système mixte de désinences, issues tantôt de l'imparfait et du parfait. Enfin, certaines langues, en particulier l'intégralité des langues romanes de France et d'Espagne, utilisent des désinences issues de l'imparfait[3].

En français, le conditionnel, ou formes en -rais, est un temps de l'indicatif. Bien que la tradition le reconnaisse comme un mode à part entière, cette approche est désormais minoritaire chez les grammairiens[4].

Sur le plan morphologique, on distingue deux formes du conditionnel :

  • une forme simple, appelée « conditionnel présent » : il chanterait ;
  • une forme composée, appelée « conditionnel passé » : il aurait chanté[5].

Le conditionnel présent se forme forme sur la base du futur simple, et au moyen de sa désinence -r-, [ʁ], suivie des désinences de l'imparfait : -ais /ɛ/, -ait /ɛ/, -ions /jɔ̃/, -iez /je/, -aient /ɛ/[6],[7]. Le conditionnel passé se forme à partir de l’auxiliaire être ou avoir conjugué au conditionnel présent auquel on ajoute le participe passé[8].

Le conditionnel connaît une valeur temporelle : il peut exprimer un futur vu à partir d'un moment du passé, ce qui lui vaut parfois le nom de futur dans le passé. Il peut également avoir des valeurs modales : expression de l'hypothèse, du potentiel et de l'irréel, d'une demande ou d'un conseil atténué[9].

Langues germaniques

[modifier | modifier le code]

Le conditionnel dans les langues germaniques a une origine parallèle à celle du conditionnel dans les langues romanes. De même que la langue romane a formé son futur et son conditionnel à partir de l’auxiliaire habēre, le gotique a formé ces formes verbales avec l'auxiliaire haban « avoir »[10].

Contrairement à une certaine stabilité du choix de l’auxiliaire entre le latin et les langues romanes, le germanique a abandonné l’auxiliaire haban au profit de skulan « devoir » pour le vieil-anglais et de wairþan « devenir » pour le vieux-haut-allemand, ces deux auxiliaires existant déjà en gotique[10].

L'existence d'un « conditionnel » en anglais fait débat[11]. En anglais, il n’y a pas eu de processus de grammaticalisation de la périphrase would + V aboutissant à la création d’une forme synthétique dédiée[12],[13].

Le conditionnel dans d'autres langues

[modifier | modifier le code]

Conjugaison du verbe chanter au conditionnel présent en français et dans quelques autres langues européennes :

Français
Conditionnel présent
chanter
Italien
Condizionale presente
cantare
Espagnol
Condicional presente
cantar
Portugais
Condicional simples
cantar
Roumain
Condițional prezent
a cânta
Anglais
Conditional present
to sing
Allemand
Konjunktiv Präsens
singen
je chanterais io canterei yo cantaría eu cantaria eu aș cânta I would sing ich sänge / würde singen
tu chanterais tu canteresti tú cantarías tu cantarias tu ai cânta you would sing du sängest / würdest singen
il/elle chanterait egli/ella canterebbe él/ella cantaría ele/ela/você cantaria el/ea ar cânta he/she/it would sing er/sie/es sänge / würde singen
nous chanterions noi canteremmo nosotros cantaríamos nós cantaríamos noi am cânta we would sing wir sängen / würden singen
vous chanteriez voi cantereste vosotros cantaríais vós cantaríeis voi ați cânta you would sing ihr sänget / würdet singen
ils/elles chanteraient essi/esse canterebbero ellos/ellas cantarían eles/elas/vocês cantariam ei/ele ar cânta they would sing sie/Sie(*) sängen / würden singen

(*) En allemand, le pronom personnel "sie" correspond à "ils" ou "elles" en français, alors que "Sie" correspond à la forme de politesse.

En russe, le conditionnel présent se forme à partir du temps passé auquel on adjoint la particule бы :

  • Я пел бы (ja pjel by, masculin) / Я пела бы (ja pjela by, féminin) : « je chanterais ».

En espéranto, le conditionnel se forme par la terminaison -us pour tous les verbes et toutes les personnes.

Notes et références

[modifier | modifier le code]

Références

[modifier | modifier le code]
  1. Bres, Azzopardi et Sarrazin 2012, p. 10.
  2. Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, t. II, Gallimard, coll. « tel », (ISBN 2-07-020420-0), p. 131
  3. Meyer-Lübke 1890, vol. II, ch. II, § 322, p. 402.
  4. Jacques Bres, « Le conditionnel en français : un état de l'art », Langue française, no 200,‎ (DOI https://doi.org/10.3917/lf.200.0005, lire en ligne)
  5. Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat et René Rioul, Grammaire méthodique du français, Paris, Presses universitaires de France, (1re éd. 1994) (ISBN 978-2-13-055984-9), p. 554
  6. Anne Abeillé et al., La Grande Grammaire du français, Arles, Actes Sud, (ISBN 978-2-330-14239-1)
  7. Riegel et Pellat Rioul, p. 445 et 555.
  8. Abeillé, II-1-2-3-4.
  9. Riegel et Pellat Rioul, p. 555-561.
  10. a et b André Rousseau, « Futur et ‘conditionnel’ dans les langues romanes et germaniques: pour une analyse résolument nouvelle » dans Bres, Azzopardi et Sarrazin 2012, p. 77-84
  11. J. Albrespit et H. Portine, « Le “conditionnel” en anglais: prégnance de la modalisation », Faits de Langues, vol. 40, no 1,‎ , p. 157-164 (DOI https://doi.org/10.1163/19589514-040-01-900000021)
  12. Bres, Azzopardi et Sarrazin 2012, p. 5.
  13. Albrespit et Portine 2012, p. 157.

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie

[modifier | modifier le code]
  • Jacques Bres, Sophie Azzopardi et Sophie Sarrazin, « Ultériorité du passé et valeurs modales », Faits de Langues, Brill, vol. 40, no 1,‎ (ISSN 1244-5460, DOI https://doi.org/10.1163/19589514-040-01-900000002)
  • (it) Arne-Johan Henrichsen, « Il condizionale nell’italiano moderno », Studia Neophilologica, vol. 43, no 1,‎ , p. 101–112 (DOI https://doi.org/10.1080/00393277108587486)
  • (it) Alberto Nocentini, « La genesi del futuro e del condizionale sintetico romanzo », Zeitschrift für romanische Philologie, vol. 117, no 3,‎ , p. 367-401 (DOI https://doi.org/10.1515/zrph.2001.117.3.367)
  • (it) Mario Squartini, « La relazione semantica tra futuro e condizionale nelle lingue romanze », Revue Romane, vol. 39, no 1,‎ , p. 68-96
  • Hans Kronning, « Prise en charge épistémique et non-concordance des temps dans le discours indirect (libre) en français, en italien et en espagnol », Cahiers Sens Public. Langues et textes en contraste, nos 1-2 (13-14),‎ , p. 19-33
  • (en) Robert Coleman, « The Origin and Development of Latin Habeo+Infinitive », The Classical Quarterly 2, Cambridge University Press, vol. 21, no 1,‎ , p. 215-232 (JSTOR https://www.jstor.org/stable/637837)
  • Wilhelm Meyer-Lübke (trad. Eugène Rabiet et Auguste Doutrepont), Grammaire des langues romanes, Paris, H. Welter,

Articles connexes

[modifier | modifier le code]

Liens externes

[modifier | modifier le code]